En 2018, Les Solitaires Intempestifs éditaient Pourama Pourama, Pour un mois pour un an de Gurshad Shaheman. Un texte qui n’est pas pièce de théâtre mais parole faite récit, mise en forme spectaculaire, en performance, trois ans plus tôt, en 2015, à La Friche de la Belle de Mai à Marseille. En vérité, il s’agit de trois récits : Touch me, Taste me et Trade me. Il faut juste remonter le temps, dire son corps de petit enfant et celui de l’homme jeune avec les autres hommes.
Gurshad a quatre ans dans l’Iran de la guerre, à l’époque où son père surpervise des chantiers près de la frontière ennemie, loin de Téhéran. L’enfant vit avec les femmes de sa famille azéri(e) : Kham-maman, l’arrière grand-mère, la mère, les tantes. Avec les chansons de la star Googoosh.
L’enfance n’est pas un récit linéaire comme tous les moments vécus de nos vies. Gurshad Shaheman tisse un réseau de fragments qui vont du passé lointain à un passé qui s’approche du présent et inversement. L’écriture vagabonde aussi entre deux langues, la langue maternelle et celle de l’exil. Vient d’ailleurs le temps du départ pour la France, celui du divorce des parents et celui de l’amour, des rencontres homosexuelles tarifées.
Il suffit de quelques mentions chronologiques pour que cette vie ait ses propres repères. Ainsi par exemple, les chansons de l’été 1990 ou les attentats du 11 septembre à New York ramènent à des époques précises de l’autofiction.
Les vies singulières ne vont jamais sans celles de leur génération. Gurshad expérimente la sensualité, le langage du désir, de son propre désir. Les prénoms des amants et et des clients prennent une place grandissante au fil du texte comme si Genet n’était pas si loin, en fantôme littéraire dans les hôtels miteux du port de Toulon.
Le texte littéraire est aussi une bande originale, une musique des mots depuis le titre du livre qui renvoie aux paroles déformées d’une chanson de Patricia Kaas par l’enfant qui ne maîtrise pas encore le français, à la variété iranienne ou française ou internationale, finissant par le célèbre air d’opéra de Bellini extrait de la Norma, « Casta Diva ».
Il y a pour Gurshad Shaheman des hymnes à l’amour : la chanson de sa passion pour Xavier et l’air opératique, chanté par Sylvain à la toute fin du texte comme si la forme narrative littéraire ne suffisait pas et qu’elle allait vers le théâtre, le plateau : un art justement du corps montré, chanté.
Et de l’adresse à l’autre. En 2021, les Forteresses seront ce texte-là.
marie du crest
Gurshad Shaheman, Pourama Pourama, les Solitaires Intempestifs 2018, 140 p. — 15,00 €.