Qu’est-ce qu’une ville ? Comment vit-on en ville aujourd’hui ? Comment y vivra-t-on demain ? Comment définir son sentiment d’appartenance à une ville? C’est ce à quoi répond Solana dans Les dames de la carte du ciel.
Mais c’est avant tout la langue qui arpente et englobe Toulouse, ville à laquelle l’auteur est attaché. Le récit est aussi une fiction à la fois pour prendre de la hauteur et aboutir à une réflexion plus universelle.
Jean-Claude Solana ramène l’inconnu dans le connu au moment où le récit emmène le lecteur dans des temps lointains comme dans l’intimité de flâneur des quais de la Garonne.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le bonheur d’être au monde, de profiter des instants à venir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Rester là où j’étais né, vivre aux côtés de ma grand-mère qui m’élevait. La peste porcine obligea mes parents à changer de vie. Je faisais partie du lot, je suivis.
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux constructions mentales qui ne m’appartenaient pas, je devais trouver ma voie, ma voix.
D’où venez-vous ?
Je suis né à Condom, Gers. J’ai vécu à Lagor puis à Mont, Pyrénées Atlantiques, ai atterri à Lourdes, puis suis venu en fac de psychologie à Toulouse. J’ai vécu à Madrid, Séville, puis retour au bercail. Je suis d’ici, mais pas que.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Des façons de voir, de sentir, des gens qui ont pris la peine de m’aimer, de s’intéresser à moi. Je suis en quelque sorte leur débordement.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Les lecteurs que je croise, me sourient, la plupart du temps, une fenêtre s’ouvre, le paysage s’élargit.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Je suis comme eux. La géographie diffère, l’histoire, l’âge, le sexe. On est pendu à un bout de terre, de territoire, on voit midi à sa porte avec les prolongements qui nous sont propres.
Faire partie de la maison est un privilège. Je laisse aux spécialistes le soin d’évaluer la place occupée.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le paysage urbain ?
Le paysage urbain est un des thèmes de Les dames de la carte du ciel. Sinon je voulais savoir si des fragments de vie donnaient un récit. Camper le quotidien à divers moments, lors de différentes rencontres, relever des noms, s’en approcher, essayer de cerner mon histoire, dans la ville qui m’occupe depuis pas mal de temps.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Enfant, près de la porcherie, la maison du propriétaire, Klébert. Dans un coin de la cuisine, au-dessus d’un évier, une scène paysanne peinte. Des bœufs, un char, un homme qui conduit l’équipage un bâton à la main, béret sur la tête. Cette représentation de la vie campagnarde me fascinait. Il est vrai qu’à cette époque, dans l’endroit où je vivais, nous étions privés d’images, il y en avait très peu dans l’espace public. Les livres ne couraient pas le logis.
Et votre première lecture ?
Premières lectures. J’étais en CP, CE1, peut-être 2, quand nous finissions un exercice, nous avions la permission d’aller au fond de la classe où une petite table ronde était garnie de livres. Je fonçais, je lisais, des livres de mômes, une récompense. Ma récompense. Sinon, le premier vrai livre, Les frères Karamazov, Fiodor Dostoïevski. J’eus aimé impressionner une jeune damoiselle, nous jouions à trouver des mots, des noms commençant par une lettre piochée au hasard, un désastre. Il fallait changer de braquet, m’ouvrir au monde. J’avais économisé un peu d’argent, je me rendis dans une librairie, demandai au libraire le livre le plus épais que je pouvais avoir. Je commençais donc par la littérature russe, j’aurais pu plus mal tomber.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Les musiques du monde. Je me laisse porter par des proches pour élargir le spectre sonore. C’est très large, même si j’ai quelques préférences.
Quel livre aimez-vous relire ?
Livres à relire. Artaud, Rimbaud, la correspondance avec sa soeur Isabelle, Bolaño Roberto, Genet, Flaubert, il y en a. Plutôt à l’instinct, sans plan préconçu.
Quel film vous fait pleurer ?
Les films qui me font chialer. J’ai l’âme d’une midinette. Je me souviens de ma fille et un dessin animé, Princesse Sarah, du début à la fin, elle chiale, je la menace de la priver de son poison visuel, je suis derrière, les larmes aux yeux. Pour dire, presqu’un sport, un déchaînement incontrôlé, une drogue dure.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Miroir, miroir, dis-moi qui je suis devant toi. Chez moi, je l’ai apprivoisé, je m’y sens bien, peux même m’extasier quant à ma forme retrouvée. Ailleurs, comme si ce n’était pas le même.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé écrire à des écrivains que j’aimais. Trop grand écart entre ce que j’étais et ce qu’ils représentaient. Un sentiment de déclassement, d’imposture.
Quel lieu a valeur de mythe pour vous ?
Toulouse est un mythe. Une ville assiégée, mise au pas, sa population, enfin une partie, jugée, condamnée. Il y a à l’institut catholique un soubassement de mur fait de chapiteaux, de pierres sculptées, vestiges, vertiges du châtiment exercé. L’histoire perdure tant que la réparation se fait attendre. Je vis dans ces miasmes, dans l’attente.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Ces écrivains, ces artistes sont en activité ici. Tout en étant ouvert au monde, je suis sensible au fait de pouvoir les côtoyer. Marie Bauthias, Laurent Redoules, Christine et Isabelle Fort, Mano Solo que j’ai connu, Roméo Mivekannin, Papillion, Akim, certains sont connus, d’autres sont les provinciaux de l’étape.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Aujourd’hui c’est mon anniversaire, j’emprunte le titre à Tadeusz Kantor, j’attends mes invités, des gens que j’ai aimés, appréciés, on est là pour refaire le monde.
Que défendez-vous ?
Le droit d’être autre et aussi je. Être un passeur, un veilleur ; passant un gué sur le qui-vive.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
L’amour est le comble de l’égoïsme, on se voit élu, l’autre serait à disposition, l’horloge tourne, chamboule.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Il y a des questions sans réponses.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Depuis que je vous ai fait cet article, vous sentez-vous plus en phase ?
Introduction et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 octobre 2021.
(Photo Marie Bauthias)