Dante, La Divine Comédie

Ce que fait la langue

Que dire encore de Dante sinon que ce poète des poètes a écrit pour savoir ce que fait la langue.
A savoir, com­prendre les consé­quences de cette incon­gruité sur son rap­port aux choses et aux êtres comme celle de la propre trans­gres­sion de l’auteur par rap­port à l’Histoire et aux divers temps.

La ques­tion de la poé­sie est à cher­cher chez lui dans sa fabrique des ques­tions annexes : ses sujets, thèmes et nar­ra­tions.
Sans ces ques­tions, elle ne se serait pas mais elles sont tout autant des façons d’éluder celle de fond dont l’image est l’inéluctable pro­duit : la ques­tion même de son origine.

Pour qui se veut poète — et Dante le prouve — l’enjeu est de cer­ner quelque chose de juste du rap­port du sujet à sa propre expé­rience du monde.
Mais le monde n’est pas une sorte d’en-deçà ou d’au-delà du lan­gage : il est tou­jours déjà fait de lui, consti­tué comme monde par le réseau du sym­bo­lique en lui.

La Divine Comé­die reste à ce titre un monde clos mais ouvert. Dante y refuse une naïve régres­sion fusion­nelle ou les exal­ta­tions d’une subli­ma­tion nour­rie de pathos.
D’où le com­bat pour se déga­ger de ce qui, du corps consti­tué de la langue, vient faire écran à un lan­gage de l’expérience intime pour en récu­ser l’inouï et l’assigner au lieu “commun”.

La ques­tion qu’affronte Dante est moins celle de l’irrémédiable écart entre les choses et le lan­gage que celle du fossé qui s’ouvre entre la coa­gu­la­tion de repré­sen­ta­tions du réel et la façon par lequel celui-ci affecte la vie du poète.
Cela ne se résorbe pas dans une ima­ge­rie ser­tie de figures repé­rées. Tout ne prend sens qu’en venant à lui comme obs­cu­rité, confu­sion insen­sée, flux d’affects.

jean-paul gavard-perret

Dante, La Divine Comé­die. trad. de l’italien par Jac­que­line Risse. Édi­tion publiée sous la direc­tion de Carlo Ossola avec la col­la­bo­ra­tion de Jean-Pierre Fer­rini, Luca Fio­ren­tini, Ila­ria Gal­li­naro et Pas­quale Porro. Édi­tion bilingue. Col­lec­tion Biblio­thèque de la Pléiade (n° 659), Gal­li­mard, Paris, octobre 2021, 1488 p.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Echos d'Italie / Echi dell'Italia, Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>