Rien n’est plus vrai que la littérature
Ce qui reste génial dans l’oeuvre romanesque de Modiano tient à sa superbe inutilité — comme l’est celle d’un Beckett. Et dans ce nouveau livre, il n’y a rien de neuf sinon une pointe plus aigüe sur le métier d’écriture.
Mais nous nous serions contenté de moins.
L’auteur rappelle qu’au début de chaque roman à venir il rêve d’une planification textuelle. Mais elle s’évapore et tout s’improvise. Le devoir de maîtrise tient donc de l’inachevé et il permet à l’oeuvre de se poursuivre dans une recherche du temps perdu en moins ennuyeux donc plus drôle.
Notons d’ailleurs combien cette composante est souvent omise lorsqu’il s’agit de Modiano.
Chez lui, le roman reste le produit d’une démarche titubante. Elle correspond au doute que le lecteur lui-même éprouve. L’auteur lui donne l’occasion de le partager en rapatriant du regard dans la littérature du réel passé.
Dès lors, l’auteur ranime des disparus, sortes de morts-vivants. Ils furent souvent réels mais ils sont distribués ici d’une façon improvisée dans un corpus subtilement inadéquat.
Cela prouve que rien n’est plus vrai que la littérature.
Et c’est ce qui en fait le charme — au sens premier du terme.
jean-paul gavard-perret
Patrick Modiano, Chevreuse, Gallimard, coll. Blanche, 6 octobre 2021, 176 p.
Quête ou enquête Modiano fait du Modiano . «Le temps avait effacé au fur et à mesure les différentes périodes de sa vie, dont aucune n’avait de lien avec la suivante, si bien que cette vie n’avait été qu’une suite de ruptures, d’avalanches ou même d’amnésie», écrit-il.