Jérôme Thélot, La peinture et le cri — De Botticelli à Francis Bacon

Une fan­tas­tique leçon du pathé­tique en peinture

Lorsqu’il s’agit d’accoupler les mots “cri” et “pein­ture”, vient tout natu­rel­le­ment à l’esprit le tableau de Münch comme s’il frac­tu­rait à lui seul le silence qui sied à la nature même de la pein­ture. Et ce, même si comme si le rap­pelle Thé­lot, cette figu­ra­tion fut vic­time d’une pro­hi­bi­tion expli­cite à l’époque de Win­ckel­mann et Les­sing au siècle des Lumières avant que le roman­tisme recom­mence à le pro­duire comme “sujet délibéré”.

C’est donc avant Münch, bien avant même et mieux que sa dra­ma­tur­gie un peu facile (mais fas­ci­nante il est vrai), que le cri est pré­sent dans des tableaux majeurs. Et — sauf erreur — Jérôme Thé­lot (qui nous a déjà étonné chez le même édi­teur par Le tra­vail de Jean-Jacques Gon­za­lès) fait valoir la pré­sence d’une telle thé­ma­tique pic­tu­rale
Par­tant de Pol­laiolo, Bot­ti­celli, Raphaël et allant jusqu’à Bacon, Picasso et Mason l’auteur la fait réson­ner via aussi et entre autres La Méduse du Cara­vage, Le mas­sacre des inno­cents de Pous­sin ou le Saint-Michel de Gior­dano. Thé­lot rap­pelle ainsi que le cri reste le “fon­de­ment sacri­fi­ciel de toute repré­sen­ta­tion”. La vio­lence serait donc “maçon­née” (selon Bon­ne­foy cité par l’auteur) sur une telle figuration.

Preuve sans doute que tout l’héritage de la pein­ture occi­den­tale trans­cende par cette expres­sion le tra­gique humain. Elle tra­duit aussi et par-delà l’appel à une cer­taine com­pas­sion. L’auteur l’analyse fine­ment à tra­vers et entre autres les formes théo­lo­giques et sacri­fi­cielles qu’elles prennent chez les peintres rete­nus.
Nous note­rons entre autres toute la sub­ti­lité des “décou­pages” des oeuvres de Bacon et Ray­mond Mason. Elles se découvrent sou­dain selon un angle inattendu.

Existe en consé­quence dans ce livre une fan­tas­tique leçon du pathé­tique en pein­ture.
Le cri devient ce qui trans­perce les toiles pré­sen­tées pour sou­li­gner une fièvre et une outrance poly­morphe à l’épreuve du temps et dans le dérou­le­ment de l’histoire de l’art.

La pein­ture pro­fère ce que le cri évoque dans l’air chuin­tant, entre la vie et son ère, lorsqu’elle qui devient caduque. De le dou­leur rien alors n’est détruit et Thé­lot sou­ligne com­ment les peintres ont su mettre en exergue des odys­sées abo­lies à tra­vers divers styles et écoles là où ce qui est mon­tré ouvre les yeux sur divers types de mar­tyrs.
Sou­dain le son le plus affûté afflue.

jean-paul gavard-perret

Jérôme Thé­lot, La pein­ture et le cri — De Bot­ti­celli à Fran­cis Bacon, L’Atelier Contem­po­rain, coll. Essais sur l’art, Stras­bourg, 6 octobre 2021, 184 p. — 25,00 €.

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