Le titre de l’autobiographie de Paola Pigani, Des orties et des hommes, nous ramène nécessairement à la traduction de celui en français du roman de Steinbeck, Des souris et des hommes.
Ainsi la lecture nous invite-t-elle à investir le monde des hommes de la terre, des journaliers américains et celui des petits paysans charentais.
L’autobiographie est celle des « enfances et des adolescences ». Le temps où la famille, les parents exilés d’Italie, venus de Belgique font corps avant que les enfants ne suivent leur propre route, ne s’éloignent laissant derrière eux, les paysages de Cellefrouin. Une fratrie de cinq enfants dont quatre filles : Dora, Valma, Pia et la petite dernière, Mila. Et un seul fils, Adamo, sans oublier les grands-parents (Nonna et Nonno). Ils sont les « baraqui », les « macaroni » qui n’oublient pas tout de leurs origines.
Ils mangent de la polenta, de la brioche du Frioul, boivent de la grappa ; ils aiment les chansons italiennes et leur langue survit dans certaines de leurs expressions. Pourtant, ils sont profondément liés à cette terre charentaise ingrate dont ils vivent mal.
Pia Pigani choisit des épisodes marquants de cette enfance et adolescence presque étrangère à la modernité urbaine. La famille n’a pas encore le téléphone. Elle évoque de cette manière, la fugue de Valma, sa propre vie en pension au collège puis au lycée, les tragédies dans les villages et hameaux, les premiers émois amoureux…
L’écriture à la première personne sert de révélateur, au fil des années et du récit, de la différence entre Pia et les autres et surtout elle trace sa vocation d’écrivaine ou plutôt de poétesse. Elle est celle qui tient un cahier semblable à un livre primitif, de ses origines littéraires. La poésie se recopie, se mémorise et se lit, de Rimbaud à Reverdy, à Bosquet ou à Eluard et s’écrira même avant les romans dans son oeuvre.
Poésie des élans de la nature, des travaux des champs, des arbres, des rivières, des bêtes que l’on nourrit et que l’on tue. La jeune Pia est une marcheuse, une incroyable cycliste dans le vent. La poésie est féconde comme la terre. En effet, Paola Pigani dans son recueil, La chaise de Van Gogh célèbre en vers, la figure de son père, Lino.
La prose plus ample dans la succession des chapitres met, en vérité, en exergue, une communauté sociale dans cette région coincée entre Cognac et Angoulême : les diverses familles de paysans, la douce châtelaine (Mademoiselle), les activistes paysans …
Un peu à la manière d’Annie Ernaux, dans Les années, Paola Pigani mêle l’histoire d’une époque ( la sécheresse de 1976, Les Jeux Olympiques de Montréal et la prodigieuse gymnaste roumaine Nadia Comaneci ou les luttes contre le camp militaire du Larzac). En vérité, c’est l’ortie qui constitue le leitmotiv poétique dans tout le livre.
Cette plante à la réputation de mauvaise herbe qui pourtant a « des pousses tendres et douces », que Nonna sait si bien cueillir, est brandie comme une figure de la vie même. Plante nourricière aussi. Herbe devenue fleur de bouquet sur la tombe d’un ami. L’ortie est sagesse et étendard poétique.
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marie du crest.
Paola Pigani Des orties et des hommes. Liana Levi piccolo, 2020, 315 p. — 11,00 €.