Hervé Drévillon, Penser et écrire la guerre. Contre Clausewitz, 1780–1837

Contre Clau­se­witz

Clau­se­witz non seule­ment domine le domaine de la pen­sée mili­taire mais il est à la mode. La preuve : sa célèbre for­mule sur la guerre conti­nua­tion de la poli­tique se trouve au cœur de l’un des thèmes de la spé­cia­lité HGGSP en classe de ter­mi­nale. Mais comme aucune icône n’est intou­chable, on lira avec inté­rêt l’analyse cri­tique que fait Hervé Dré­vil­lon de l’œuvre du théo­ri­cien prussien.

Autant le dire dès main­te­nant, le livre, riche d’une éru­di­tion peu com­mune, n’est pas facile d’accès, en par­ti­cu­lier la pre­mière par­tie, écrite par un spé­cia­liste pour des spé­cia­listes. On ne peut que le regret­ter. Cette cri­tique une fois émise, on recon­naî­tra bien volon­tiers la soli­dité et la richesse des ana­lyses pui­sées dans une maî­trise remar­quable des autres pen­seurs mili­taires contem­po­rains de Clausewitz.

Résu­mons la thèse de l’auteur : il reproche à Clau­se­witz une démarche essen­tiel­le­ment essen­tia­liste dans sa défi­ni­tion de la guerre, au lieu d’une démarche empi­rique. Pour être plus clair, le Prus­sien a éla­boré ses fameux concepts de guerre abso­lue, de mon­tée aux extrêmes, de conti­nua­tion de la poli­tique par d’autres moyens sans aucune prise en compte de la réa­lité de son temps.

Une réa­lité qui pousse à rela­ti­vi­ser la rup­ture induite par la Révo­lu­tion fran­çaise et à voir une cer­taine conti­nuité entre les guerres de l’Ancien Régime (Louis XIV et Vau­ban) et celles de la Révo­lu­tion et de l’Empire. A cet égard, la guerre de Sept Ans, sur laquelle Hervé Dré­vil­lon revient sou­vent, a été une étape sous-estimée.
Autre point majeur de sa thèse : il n’existe pas de mon­tée aux extrêmes dans les conflits révo­lu­tion­naires et napo­léo­niens, ne serait-ce qu’en termes de pertes humaines. Bien au contraire, la néces­sité de convaincre les désor­mais citoyens du bien-fondé du com­bat poussa les révo­lu­tion­naires à une éco­no­mie des forces natio­nales, loin du déploie­ment de res­sources illi­mi­tées cher à Clausewitz.

Ces guerres, écrit l’auteur, « furent peu intenses et moyen­ne­ment san­glantes, mais elles ali­men­tèrent la per­cep­tion sub­jec­tive d’un déchaî­ne­ment de la vio­lence par la dimen­sion poli­tique et la com­bi­nai­son très variable des pra­tiques et des repré­sen­ta­tions. » La véri­table nou­veauté se trou­ve­rait dans « l’insertion du sol­dat et de la guerre dans la sphère publique ».
De la même façon, l’idée maî­tresse de l’œuvre de Clau­se­witz sur la guerre simple conti­nua­tion de la poli­tique sort fra­gi­li­sée du livre puisque, sans en nier la per­ti­nence, Hervé Dré­vil­lon rap­pelle l’influence rétro­ac­tive de la guerre sur la poli­tique, la pre­mière finis­sant par sou­mettre la seconde par l’établissement d’un sys­tème coercitif.

On l’a com­pris, ce livre brillant, peut-être trop sévère contre Clau­se­witz, met en lumière la com­plexité de la guerre et la dif­fi­culté de la pen­ser, et même de la théoriser.

fre­de­ric le moal

Hervé Dré­vil­lon, Pen­ser et écrire la guerre. Contre Clau­se­witz, 1780–1837, Pas­sés Com­po­sés, octobre 2021, 352 p. — 23,00 €.

Leave a Comment

Filed under Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>