Clausewitz non seulement domine le domaine de la pensée militaire mais il est à la mode. La preuve : sa célèbre formule sur la guerre continuation de la politique se trouve au cœur de l’un des thèmes de la spécialité HGGSP en classe de terminale. Mais comme aucune icône n’est intouchable, on lira avec intérêt l’analyse critique que fait Hervé Drévillon de l’œuvre du théoricien prussien.
Autant le dire dès maintenant, le livre, riche d’une érudition peu commune, n’est pas facile d’accès, en particulier la première partie, écrite par un spécialiste pour des spécialistes. On ne peut que le regretter. Cette critique une fois émise, on reconnaîtra bien volontiers la solidité et la richesse des analyses puisées dans une maîtrise remarquable des autres penseurs militaires contemporains de Clausewitz.
Résumons la thèse de l’auteur : il reproche à Clausewitz une démarche essentiellement essentialiste dans sa définition de la guerre, au lieu d’une démarche empirique. Pour être plus clair, le Prussien a élaboré ses fameux concepts de guerre absolue, de montée aux extrêmes, de continuation de la politique par d’autres moyens sans aucune prise en compte de la réalité de son temps.
Une réalité qui pousse à relativiser la rupture induite par la Révolution française et à voir une certaine continuité entre les guerres de l’Ancien Régime (Louis XIV et Vauban) et celles de la Révolution et de l’Empire. A cet égard, la guerre de Sept Ans, sur laquelle Hervé Drévillon revient souvent, a été une étape sous-estimée.
Autre point majeur de sa thèse : il n’existe pas de montée aux extrêmes dans les conflits révolutionnaires et napoléoniens, ne serait-ce qu’en termes de pertes humaines. Bien au contraire, la nécessité de convaincre les désormais citoyens du bien-fondé du combat poussa les révolutionnaires à une économie des forces nationales, loin du déploiement de ressources illimitées cher à Clausewitz.
Ces guerres, écrit l’auteur, « furent peu intenses et moyennement sanglantes, mais elles alimentèrent la perception subjective d’un déchaînement de la violence par la dimension politique et la combinaison très variable des pratiques et des représentations. » La véritable nouveauté se trouverait dans « l’insertion du soldat et de la guerre dans la sphère publique ».
De la même façon, l’idée maîtresse de l’œuvre de Clausewitz sur la guerre simple continuation de la politique sort fragilisée du livre puisque, sans en nier la pertinence, Hervé Drévillon rappelle l’influence rétroactive de la guerre sur la politique, la première finissant par soumettre la seconde par l’établissement d’un système coercitif.
On l’a compris, ce livre brillant, peut-être trop sévère contre Clausewitz, met en lumière la complexité de la guerre et la difficulté de la penser, et même de la théoriser.
frederic le moal
Hervé Drévillon, Penser et écrire la guerre. Contre Clausewitz, 1780–1837, Passés Composés, octobre 2021, 352 p. — 23,00 €.