Contrairement à ce que pensait Novalis, il ne fallut pas attendre le romantisme allemand pour que la poésie devienne réelle et absolue.
En même temps que Dante (qui ne l’a fit en rien régresser et c’est un euphémisme), son ami-ennemi Cavalcanti lui emboîta le pas en renvoyant la philosophie à un pur jeu ou en servante muette de la poésie.
Comme l’auteur de La Divine Comédie, Bartolomeo Cavalcanti fut exilé de Florence. Mais à l’inverse du premier, ce départ fut pour lui volontaire.
Et en dehors de ses faits de guerre, il fut l’auteur de La Retorica qui fut une sorte de best-seller de l’époque puisqu’il fit l’objet de dix éditions de 1559 à 1585.
Ce recueil complet de la rhétorique classique soutient “que la fonction de la rhétorique est civique et pratique plutôt que littéraire” mais, sans désavouer cette optique, Minière élargit encore l’engagement de la poésie : “Cavalcanti parle de vœu éthique, du choix de s’en tenir à une détermination. Il a scellé un pacte : il ne parle que du drame de l’Amour. Ses souffrances rendront réelle l’illumination imaginaire”.
Dès lors, la “Dame” et l’amour pour objet permettent de cultiver jeu et beauté pour rechercher la perfection par ce qui suscite le drame et le désir, le tout par une poésie codée et amoureuse qui suppose un “engagement politique méthodique et une position intellectuelle là où habituellement tout est affaire de sentiment.
Dans cette posture, le poète “signe” de facto un serment intime : celui de se consacrer à l’excellence du “nouveau” en jouant avec les règles comme autant de mesures sues de la grammaire.
Mais si Dante, au sein de son Enfer, est guidé par Virgile, dans le sien Cavalcanti n’est guidé que par lui-même pour chercher ce nouveau et cet inépuisable qu’il chérissait.
Preuve que l’oeuvre du Florentin — au même titre que celle de Dante — ne doit plus être classée dans le passé mais vers le futur enchaîné chez lui “dans les tenons des mètres et des rimes”, là où tout touche à la connaissance “par le strict maintien de la mesure et à mesure”. Minière en appelle donc à une poétique bien différente de celles d’un siècle où “les arts se complaisent aux mixages, croisements, mixages, hybridations”.
Il s’agit pour un poète de s’en tenir à une conduite de vie où l’éthique comme l’esthétique prend un nouveau sens plus profond et intériorisé.
C’est à ce seule titre que la poésie peut devenir réelle et absolue loin des spéculations théoriques comme des expressions abstraites ou plus ou moins philosophiques.
La parole poétique naît donc d’une clause de cérébralité spécifique ou, si l’on préfère et pout résumer, à l’absolu du savoir répond l’absolu de la poésie.
Mais pas n’importe laquelle.
Celle que Cavalcanti a ouvert et ouvre encore.
jean-paul gavard-perret
Claude Minière, Quel avenir pour Cavalcanti ?, éditions Louise Bottu, Mugron, 2021, 50 p. — 9, 00 €.