Les textes qui forment le cahier ont été conçus pour la publication virtuelle sur la Toile. Ils sont donc un exercice de la vélocité, au présent. Cela n’enlève en rien le travail de reconstruction du livret depuis le manuscrit, réservé exclusivement au Web. J’ai pensé que cette aventure littéraire en ligne se rapprocherait peut-être de l’écriture de Pacific 231, sorte de calque de la musique savante sur un objet de la modernité, ici dans le sens inverse, créée pour, vers une technologie comme support.
Je travaille donc au fur et à mesure pour livrer ces textes, qui sont des points de vue parfois abstraits sur ma connaissance du monde.
L’horloge en sifflant a battu douze fois
Dans la salle voisine sombre et vide
Ivan A. Bounine
Ne sais m’instruire du rêve. Ne sais circonvenir les signes. Demeure toujours dans le mystère. Au sein de la nuit.
Rêve sans savoir interpréter. Rêve un destin.
Quelle est la vérité du temps du sommeil ? Doit-on le considérer comme une coupure, une incise dans le continuum des temps ? En tout cas, cela détache le monde de sa fixité, de son caractère lithique pour le projeter dans une combinaison aqueuse, comme si le rêve coulait, pouvait liquéfier la présence, défaire temporairement l’étreinte du temps.
Du reste, je poursuis toujours et détruis le rêve puisque, soit je me souviens peu de ce que mon rêve m’instruisait, soit rien ne correspond à quelque chose de vrai, de tangible et donc appartenant au régime du récit, de la fiction.
Toujours est-il que la valeur de mon existence, calquant la vie physique sur la vie psychique, invite à se porter vers une ascension, une gravitation, image parfaite de l’action d‘écrire.
Cela ne se réalise, ne se peut que par le présent, la fusion des cycles, la jointure, la soudure.
De ce fait la relation spirituelle, celle qui se forme dans le bizarre échange entre partie dure et partie vide de la pensée, se plie positivement sur l’être humain, entre la dureté du corps et l’eau mystique de la contention intérieure, monde souple, ductile. Par exemple, comment expliquer ce que contient la parole, sorte de murmure de la prière, marmonnement des moulins à prière, pour devenir parole sacrée, parole de lumière, emportement ?
Est-ce cela que rêver ? N’est-ce pas plutôt s’agrandir, reprendre souffle dans la divinité ?
Ce qui me fait mal, voyant les temps fuir toujours, c’est cette profonde individualité dont est munie la créature, laquelle rêve, pense, prie, augmente le monde à chaque instant, mais ne connaît aucune vérité entière, ne sait rien tout en sachant beaucoup, réfléchissant dans l’angoisse de ce que je ne connais pas, toujours partagé entre certitude et doute.
Le monde, mon monde comme une barque, une chaloupe incarnate qui traverse la rivière, celle de la vie humaine.
Je ne sais que rapporter de ce voyage en moi de la vacuité, de la solitude immense qui est nécessaire à mon dessein.
Et toute allégorie incorporelle, toute parole dite dans la flamme, toute tension, toute tentative vers ailleurs ne résument rien sinon qu’il faut poursuivre le chemin, ne pas quitter la route.
Lien, combustion.
didier ayres