La dévotion à l’histoire des avant-gardes dont Daumal fut un temps adepte n’empêche pas une lucidité qui vient avec le temps. Celui qui avec Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert Meyrat, et face ou à côté de “La révolution surréaliste” fonda le groupe et la revue majeure “Le Grand Jeu” où ils retracèrent leur “métaphysique expérimentale”, comprend peu à peu la vacuité de certains révolutionnaires.
Il montre combien Breton et son armée finirent par résolument se placer du côté du conditionnement. La contextualité des avant-gardes montre comment elle devint partie prenante d’un système.
Pour preuve, elle fut très vite digéré par la Sorbonne.
Ceux qui dirigeaient vers des évolutions qui appelaient « la » Révolution produisirent l’inverse que ce que leurs utopies espéraient. Daumal note dès 1935 que le Cabaret Voltaire de Zurich et Dada sont bien loin.
Le Surréalisme ne sera qu’un succédané, un remugle.
Daumal comme Duchamp puis Tzara joignant nihilisme, table rase et monde nouveau finirent par renoncer. Le futurisme fut digéré par le fascisme, quant au suprématisme l’URSS eut raison de lui.
Malevitch lui-même — après ses périodes muralisme byzantino-sécessionniste, fauviste, néo-primitiviste, cubo-futuriste, a-logiste puis suprématiste — allait se replier — sur une œuvre plus « pondérée ».
Bref, la messe était dite et ces trois textes importants et passionnants de Daumal le soulignent. Les joyeux fruits de la passion poétique étaient en train de pourrir.
Et l’auteur l’appréhende de manière sarcastique et provocante.
jean-paul gavard-perret
René Daumal, Ecrits de La Bête Noire, édition par Billy Dranty, éditions Unes, Nice, 2021, 32 p. — 13,00 €.