Homme d’Église et homme d’État
Il existe deux catégories de biographie. La première raconte la vie d’un personnage, la seconde comprend le personnage. Celle qu’Arnaud Teyssier consacre à Richelieu appartient sans contexte à cette dernière, et bien rares sont les études biographiques d’une telle densité, d’une telle profondeur et qui se caractérisent par une telle maîtrise de l’époque.
Nous connaissons tous le cardinal de fer, serviteur implacable de l’Etat et du roi Louis XIII. Mais à force de ne voir que la dimension politique de Richelieu, on en oublie sa nature – car c’est bien d’une nature dont il faut parler – d’homme d’Eglise, de prêtre, d’évêque et de théologien. Là se situe le grand apport de ce livre qui, en relisant les sources, les soumet à la critique historique afin d’écarter ce qui relève de la légende noire, de l’approximation ou de l’erreur d’interprétation.
Autant la vision que l’action du cardinal s’inscrivent dans le contexte de la Contre-Réforme catholique : sa lutte contre les protestants, sa défense de l’autorité royale et de la souveraineté de l’Etat ; non pas au nom d’un machiavélisme mal analysé par ses biographes, mais de l’unité du royaume autour de la couronne et de la personne sacrée d’un monarque à la personnalité si complexe, et de l’Eglise catholique. Théologien, Richelieu le fut, et un grand théologien, nourri de son expérience d’évêque de Luçon, absolument déterminante dans son parcours et son gouvernement.
L’unité des Français, le respect de l’autorité de l’Etat, la lutte contre les intérêts particuliers des princes, des grands, des féodaux, des groupes religieux teintés par le séparatisme : la politique intérieure de Richelieu, tendue avec force vers cet objectif, fut certes ralentie par les questions internationales et par la participation à la guerre de Trente Ans. Il n’empêche. Elle transforma le pays en le soumettant à une autorité de fer.
On comprend du coup, en lisant Arnaud Teyssier, les raisons pour laquelle la IIIe République, jacobine et unificatrice, chercha à réhabiliter l’homme en rouge, après les décennies de légende noire du romantisme ; mais on s’effraye encore davantage de la puissance du délitement actuel de l’Etat et de la nation française, qui enterre une œuvre pluriséculaire à laquelle Richelieu apporta une contribution majeure.
frederic le moal
Arnaud Teyssier, Richelieu, Perrin-Tempus, août 2021, 656 p. — 11,00 €.