Martin Bruneau, Suite Blanche (exposition)

Humour pic­tu­ral 

Les “repas blancs” sont des mer­veilles jouis­sives. La table est recou­verte de blanc. Et les assiettes — for­cé­ment ou presque — de la même cou­leur. Autour, les conver­sa­tions sont sup­po­sées ani­mées mais des convives le regar­deur ne dis­tingue que les bras. Peut-on y voir une rémi­nis­cence des noces de Cana ? Cer­tai­ne­ment pas même s’il est ques­tion de par­tage, mais tout reste plus proche de nous.
La bonne fran­quette est plus débri­dée ou relax. Nous nous rap­pro­chons ques­tion cou­leur du “Déjeu­ner sur l’herbe” mais les femmes invi­tées sont pro­ba­ble­ment plus habillées. Néan­moins, insen­si­ble­ment Bru­neau nous ramène plus à la table qu’à celles et ceux qui l’entourent. Si bien que Morandi n’est pas loin. Et Cézanne juste un peu plus loin.

Mais Bru­neau ose s’amuser et nous amu­ser en sug­gé­rant une cer­taine convi­via­lité même si les assiettes res­tent vides — ou presque. Appa­rem­ment, les gros man­geurs sont res­tés à la porte. Le peintre joue avant tout des formes, des lignes et des tons là où la nature morte prend une dimen­sion plus vivante quoique sobre. Une cer­taine rete­nue de bon aloi s’impose.
Et c’est comme si le peintre fai­sait jouer le chaud et le froid, la pré­sence et l’écart. Ce qui est offert à la dégus­ta­tion est moins un menu que la pein­ture dans un effet consommé de la pers­pec­tive au moment où la table grimpe du bas au som­met du tableau.

Toute la série joue d’une sorte de dépouille­ment. Exit l’exubérance et les excès dans cette expé­rience optique plus que gus­ta­tive. C’est là une manière d’ironiser la pein­ture par elle-même tout en affir­mant son exis­tence. Il y a là une belle foi en l’art tout en le cri­ti­quant.
Bru­neau rap­pelle que l’image ne ren­voie qu’à elle même sauf à faire prendre des ves­sies pour des lan­ternes ou des mor­ceaux de pas­tèques pour un des­sert : ils ne sont qu’un agré­gat de cou­leurs, de formes là où la pein­ture devient une réflexion sur la façon dont sa farce nous attrape et nous convoque.

L’artiste pour­suit ainsi ce qu’il avait inau­guré avec Le bruit des verres à la même gale­rie. Mais ici l’adresse et la mai­trise ren­forcent ce qu’il pei­gnit il y a dix ans.
Par l’ironie pic­tu­rale d’un tel repas “ami­cal”, le por­trait de groupe est confi­guré comme si ce qui se passe réel­le­ment en une telle scène échap­pait à toute nar­ra­tion — si ce n’est de la pein­ture qui se raconte tout en soi­gnant par la bande le manque d’affect ou d’intimité de ceux qui com­posent une telle ren­contre comme différée.

jean-paul gavard-perret

Mar­tin Bru­neau, Suite Blanche, Gale­rie Isa­belle Gou­nod,  13 rue Cha­pon 75003 Paris, du 30 sep­tembre au 27 novembre 2021.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>