Humour pictural
Les “repas blancs” sont des merveilles jouissives. La table est recouverte de blanc. Et les assiettes — forcément ou presque — de la même couleur. Autour, les conversations sont supposées animées mais des convives le regardeur ne distingue que les bras. Peut-on y voir une réminiscence des noces de Cana ? Certainement pas même s’il est question de partage, mais tout reste plus proche de nous.
La bonne franquette est plus débridée ou relax. Nous nous rapprochons question couleur du “Déjeuner sur l’herbe” mais les femmes invitées sont probablement plus habillées. Néanmoins, insensiblement Bruneau nous ramène plus à la table qu’à celles et ceux qui l’entourent. Si bien que Morandi n’est pas loin. Et Cézanne juste un peu plus loin.
Mais Bruneau ose s’amuser et nous amuser en suggérant une certaine convivialité même si les assiettes restent vides — ou presque. Apparemment, les gros mangeurs sont restés à la porte. Le peintre joue avant tout des formes, des lignes et des tons là où la nature morte prend une dimension plus vivante quoique sobre. Une certaine retenue de bon aloi s’impose.
Et c’est comme si le peintre faisait jouer le chaud et le froid, la présence et l’écart. Ce qui est offert à la dégustation est moins un menu que la peinture dans un effet consommé de la perspective au moment où la table grimpe du bas au sommet du tableau.
Toute la série joue d’une sorte de dépouillement. Exit l’exubérance et les excès dans cette expérience optique plus que gustative. C’est là une manière d’ironiser la peinture par elle-même tout en affirmant son existence. Il y a là une belle foi en l’art tout en le critiquant.
Bruneau rappelle que l’image ne renvoie qu’à elle même sauf à faire prendre des vessies pour des lanternes ou des morceaux de pastèques pour un dessert : ils ne sont qu’un agrégat de couleurs, de formes là où la peinture devient une réflexion sur la façon dont sa farce nous attrape et nous convoque.
L’artiste poursuit ainsi ce qu’il avait inauguré avec Le bruit des verres à la même galerie. Mais ici l’adresse et la maitrise renforcent ce qu’il peignit il y a dix ans.
Par l’ironie picturale d’un tel repas “amical”, le portrait de groupe est configuré comme si ce qui se passe réellement en une telle scène échappait à toute narration — si ce n’est de la peinture qui se raconte tout en soignant par la bande le manque d’affect ou d’intimité de ceux qui composent une telle rencontre comme différée.
jean-paul gavard-perret
Martin Bruneau, Suite Blanche, Galerie Isabelle Gounod, 13 rue Chapon 75003 Paris, du 30 septembre au 27 novembre 2021.