A mi-chemin du roman et de l’essai
A mi-chemin du roman et de l’essai, ce livre de Gérard Guégan retrace son enquête personnelle sur les circonstances de la mort et des obsèques de Stendhal. L’auteur s’est inspiré des carnets secrets de Joseph Lingay — éminence grise de la Monarchie de Juillet, personnage sulfureux, ami de plusieurs grands écrivains de son temps -, et de diverses autres sources, dont les confidences du fantôme qu’il tutoie. Le mélange du factuel et du fictionnel fait le charme de l’ouvrage, mais il suscite aussi l’impression, par moments agaçante, de ne pas trop savoir à quoi s’en tenir : on en vient à douter même de l’existence des documents cités, en observant la façon dont Guégan reformule des citations sans guillemets, réinvente des épisodes biographiques et joue constamment avec les (mé)connaissances supposées du lecteur.
C’est là l’aspect le plus frappant du texte : une sorte de vaste rébus à l’intention des amateurs de littérature pour happy few, aux références tantôt explicites (Vivant Denon, Gobineau, Barrès, Cioran…), tantôt implicites comme Marcel Schwob (Le Livre de Monelle) ou Denitza Bantcheva (les dialogues avec le fantôme rappellent ceux de La Traversée des Alpes).
L’érudition de Guégan a de quoi séduire les lettrés, étant vaste, variée et déployée avec ingéniosité. Cependant, si l’on met de côté tous les emprunts avoués ou inavoués, son ouvrage nous laisse sur notre faim : en matière de révélations biographiques sur Stendhal, il y a là la substance d’un article ; quant à l’aspect proprement romanesque, le récit manque à la fois d’inventivité et de construction.
De fait, l’idée d’une série de doubles de Stendhal, qui se manifestent successivement, en alternance avec son fantôme, apparaît comme la seule “originale“ de cette narration - les guillemets s’imposent, car elle n’est pas inédite, ayant été exploitée notamment dans I’m not there de Todd Haynes. Et une fois de plus, Guégan qui justifie ses emprunts implicites “sous réserve“ de “dépass[er] en tout point le volé“ (p. 141) nous oblige à noter qu’il reste en dessous de ceux qu’il pille : les doubles n’ayant d’existence que très épisodique dans le livre, l’effet d’ensemble qu’ils produisent est celui d’un procédé facile et beaucoup trop répétitif.
Par ailleurs, la manière dont l’auteur se pose en égal de Stendhal, voire en supérieur (refusant de répondre à telle question qui travaille son “vieux camarade“) prête à sourire, dans le contexte d’une fiction dont on se demande s’il faut la qualifier de malhabile ou de bâclée à défaut d’exigence envers soi-même.
En définitive, ce que l’ouvrage de Gérard Guégan a de plus appréciable, c’est qu’il porte à relire d’autres auteurs — à commencer par Stendhal, cela va de soi.
agathe de lastyns
Gérard Guégan, Appelle-moi Stendhal, Stock, février 2013, 170 p.- 18,00 €