Christian Gallopin ne cherche pas à ce que ses phrases fassent volontairement sensation. Mais c’est pour cela qu’elles sont des coups de poings, des avancées. Mais aussi gestes et coulées.
Autopsie des cafards emporte dans la vie de Germain Pouillon qui, à bien des égards, est le semblable, le frère voire de son fomenteur. Le tout sous l’incipit de deux auteurs non négligeables : Robert Antelme et Henri Michaux. Ce dernier rappelle que : “Le venin du serpent est son fidèle compagnon. (…) Frères, mes frères damnés, suivez moi avec confiance”. Le suivre, c’est progresser dans l’adversité. Gallopin danse avec et il interprète bien des corps dont bien sûr celui de son héros.
Sa vie se tend et déboule. Depuis où ça pu poindre (la ferme de naissance), à quel moment ça se viande (la guerre d’Algérie) et dans quel réel ou dans quelle impossibilité encore ça pourrait encore arriver (couloirs d’hôpital). La narration s’éructe mais sans chercher d’effet.
Elle semble toujours prête à finir par s’encrever d’un coup, d’une traite mais pourtant tout résiste. Comme la vie qui tient souvent à un fil et qui parfois s’en va d’un coup de lame.
Si bien que, dans cette fiction, penser c’est déboucher, dégorger du signifiant afin de pouvoir respirer encore. Preuve que Christian Gallopin fait mieux que viser juste. Les mots font des trous dans notre savoir acquis. Bref, l’auteur décoiffe tout peigné. Tout sent la sueur et la souffrance. Chaud dedans. Mais ça respire.
L’auteur saute à pieds joints dans le réel. Parfois, les corps sont en chandelle, parfois ils pendent — voire plus.
C’est pourquoi une telle fiction prend aux tripes. Et c’est tout sale dedans. C’est ça le manger, en salade d’hommes et coupe de femmes. Il y a encore bien des idées à braver et de sentiments à chevaucher : ça frotte, ça enduit, ça fait boule et aussi ça met en boule. Tout est puissant car l’auteur, son héros et son narrateur choisissent des mots qui ont tout dedans un coup de sang et pas seulement des idées.
Nous sommes bien loin du pâté des romans habituels. Depuis la cambrousse jusqu’au djebel. Et sans carte ni boussole.
Au héros de se démerder nous dit Gallopin et il sait ce que cela coûte. Mais tout cela fait du bien, fait les jambes. Et bien plus.
jean-paul gavard-perret
Christian Gallopin, Autopsie des cafards, éditions Douro, coll. Le Bleu-Turquin, Paris, 2021, 236 p. — 19,00 €.