Mettre du leurre dans le leurre
Pierre Andreani, dans la préface du beau livre d’Alexandre Blaineau, en souligne l’enjeu : “Il est de ces instants suspendus où l’on se voit flotter, les deux pieds dans le sable, remuant sans but. Impavide malgré tout.“
Tout poète digne de ce nom doit remonter ce temps dans l’ “exploration adamique ou dantesque des commencements”.
Dès lors, des champs et des chants de la mémoire remontent “des mouvements obscurs / Des pensées de rêve”. Blaineau explore dans les sédiments “des particules agglomérées et douces qui te rappellent l’épaisseur du temps”.
Tout dans l’oeuvre devient une manière de mettre du leurre dans le leurre face aux glaciations épidémiologiques des discours en faisant revivre des légendes chevaleresques et des monuments dont ne demeurent que les vestiges.
Alors que tant d’auteurs appellent à un tout doit disparaître, l’auteur revendique à un temps recréateur. Par le soupir des pierres au bord des crevasses, le monde se réinvente en ce qu’il demande à nos souffles et à “l’espoir des séismes”.
Tout un monde sauvage fait retour au sein de ce qui se brasse dans les menus indices comme les chaos du monde. Et ce, quelles que soient ses surfaces — hypothétiques ou non.
D’où cette suite de visions. Elles remontent en horde des temps disparus en un retour de l’acte poétique le plus probant. Reviennent les questions premières dans un univers où le début et la fin se rejoignent.
C’est aussi un appel à quitter la cohorte des esclaves.
La poésie redevient un acte d’affranchissement en de multiples exodes ou traversées.
Manière de sortir comme chez Mallarmé du “tombeau des siens” et des ruines dans ce qui tient d’un rituel de sur-vivance. Reste sous la splendeur des marbres la force de la chair vive.
L’auteur se réinvente en calligraphe pour donner les échos du lointain recomposé et magnifié par son écriture en digne successeur des plus vibrant des scribes et des visionnaires et dans l’espoir que son livre ne sera ni oublié ni sacrifié. Il redonne ainsi vie à tous ceux qu’il conserve dans sa mémoire pour que des bibliothèques entières soient conservés “Les déclarations d’amours inabouties / Les écritures de hasard /Les croquis des envols / Et les traités des ruines”.
Bref, là où la voix se perd mais où, par des fêlures des pierres, les sortilèges peuvent encore avoir droit de cité.
C’est pourquoi — au moment où pourrait s’insinuer une forme de désespoir — reste l’instant d’élection pour retrouver des étendues oubliées. Le mal d’être et l’angoisse sont réenchantés et parviennent peu à peu à ouvrir le poète à une plénitude dans un flux qui prolonge celui de Rimbaud.
Une nouvelle morale ou plutôt esthétique tente de naître dans le désir d’innocenter la chair et de s’innocenter soi-même par le scandale que propose toute écriture digne de ce nom.
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jean-paul gavard-perret
Alexandre Blaineau, D’être en ce monde, éditions (Milagro), 2021, 76 p.