Paola Pigani, La chaise de Van Gogh

« Lino et Vincent »

En 1888, Vincent Van Gogh signe de son pré­nom, sur une modeste caisse rem­plie d’oignons, son tableau, La chaise. Sujet de presque rien : chaise de paille sur car­re­lage, dans une chambre de pauvre, en Arles.
Une pipe et une poche de tabac posée sur le siège, oubliées peut-être par le peintre parti. Un inté­rieur mini­ma­liste alors que dehors, l’attend la cam­pagne foi­son­nante de lumière, de soleil. Champs de blé, meules de foin et tra­vailleurs de la terre comme le semeur au soleil cou­chant. Vincent «  tra­vaille » la terre,  le ciel, les oiseaux et les hommes.

Le recueil de Paola Pigani reprend le titre de ce tableau  parce qu’il y a la chaise sous le han­gar ( v.1 en gras) qui la ramène à la vie de son père, Lino.  Recueil pour recueillir les moments  humbles et durs de son  exis­tence, depuis le loin­tain Frioul dont il est ori­gi­naire jusqu’à la cam­pagne cha­ren­taise où il fait sa vie avec ses enfants et sa femme.
Tom­beau poé­tique d’une fille qui s’adresse à son père, avan­çant pas à pas, poème ( court) après poème, vers la mort de Lino.

Tu viens de par­tir vers ton der­nier exil.

La mai­son et les traces de cette exis­tence  se dis­persent. On vide jus­te­ment une mai­son ; les héri­tiers se par­tagent ce qui reste, quelques livres.
La chaise vide (celle du peintre et du pay­san labo­rieux) comme objet tuté­laire de la pré­sence et de l’absence.

Des dates jalonnent le chant :  séche­resse de 1976, tem­pête de 1999. La chaise sur laquelle s’assied le père, trieur de métaux, à ses heures revient comme une trace du des­tin de Lino.
Et  la vie s’écoule au rythme des saisons.

Paola Pigani chante les gestes de son père au tra­vail comme Depar­don filme, dans Pro­fils pay­sans, les hommes de Lozère, de Haute-Loire ou d’Ardèche,  lui aussi fils de la terre. Poé­ti­ser un vélage, l’abattage des arbres, les labours et la dou­leur de la tâche. Elle n’écrit pas comme le grand Vir­gile dans les Geor­giques (le chant de la terre en somme) : O for­tu­na­tos nimium sua si bona norint, agri­co­las (Trop heu­reux les hommes des champs, s’ils connaissent leur bon­heur).
Les pay­sans  pauvres qui paient le fer­mage sont –ils heu­reux, favo­ri­sés par la Fortune ?

Le texte de Paola Pigani est comme un hom­mage à un monde perdu, celui certes de son enfance ter­rienne mais aussi celui d’une pay­san­ne­rie qui, chaque jour, s’éteint face à l’industrialisation de l’agriculture.  Seule la beauté de la langue et des vers comme la beauté  des toiles du peintre hol­lan­dais est capable de la faire revivre, de la fixer, de l’immortaliser en quelque sorte.
Lino et Vincent sont en cela, frères : tous deux par­ti­cipent de cette beauté du tra­vail accompli :

Sur la chaise vide, la paresse jamais n’a jamais pris son aise.

Seul votre corps ver­ti­cal aux mains savantes

à our­ler métaux et cou­leurs dans la dou­blure des jours

Toi Lino, toi Vincent jusqu’aux accrocs de fatigue.

marie du crest

Paola Pigani  La chaise de Van Gogh, La Bou­che­rie lit­té­raire, col­lec­tion  « Sur le billot » -  15, 00 €.

           

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