Les conversations secrètes de Marie Bauthias
À “l’écoute” de toutes les paroles “suffoquées” ((Laurent Cauwet), Marie Bauthias récupère les chutes de tout ce qui est censé véhiculer les messages de notre monde : papiers à lettres, pages de carnets, vieux registres, enveloppes, matériaux de classements, passe-partout et marie-louise, vieilles disquettes, éléments électriques de vieux engins d’enregistrements, Letraset, œillets métalliques, papiers, scotchs, cartons (d’emballage ou d’encadrement), livres, revues…
L’artiste les intègre dans des montages subtils, intempestifs, autant poétiques que drôles. Elle propose des “insulae” qui transmettent des jeux d’esprit et des émotions de base contre une certaine “néance” et pour la contrefaire et la contredire. Son travail représente une langue extraordinaire où divers systèmes de signes et de citations tissent des profondeurs cachées et bien utiles dans notre période d’ignorance et de croyances obscurantistes.
Il s’agit de se dégager de ce qui masque, étouffe, supprime le sens afin de créer une critique de ce que le langage admis tolère en estimant que tout est dit. Mais Marie Bauthias sait que tout reste à faire. D’où ces collages et montages.
Exit la dorure, la boursouflure en ce qui devient une sédition solitaire par divers pas de côté. Le tout loin de la nonchalance ou d’un seul négativisme dévastateur.
En ces exercices d’effacements et de reprises de fragments épars-joints, chaque page prend un aspect singulier. Les errances insulaires deviennent des symptômes qui changent la vieillesse des signes et des supports. Ils se réincarnent dans de tels projets.
Les mots sortent de leur linceul où ils sont bloqués, s’enkystent, s’empierrent.
Marie Bauthias les écaille. En Mélusine elle fait de ses oeuvres une usine où ça grince et ça cause loin des pauvres monstrations et flaccidités d’usage.
Par de telles “images” et dans un processus toujours en cours, ce qui ne se pense pas encore jaillit à chaque page.
jean-paul gavard-perret
Marie Bauthias,
– matière(s) à convers(at)ion, collection rara libris, éditions Dumerchez, Creil, 2021,
– Généa/logi(qu)e(s) illusoire(s), préface de Laurent Cauwet, lettre de Bernard Dumerchez. Al Dante, Presses du réel, Paris, 2021, 240 p. — 25,00 €.