Winston Churchill qualifia Rawa-Ruska (Ukraine) de “camp de la goutte d’eau et de la mort lente”. Il fut créé en 1941 à coté du camp d’extermination de Belzec, pour les prisonniers russes puis pour les prisonniers français, belges les plus récalcitrants.
Et son chef d’écrire : “Rawa-Ruska restera mon oeuvre et si j’avais eu le temps de le parachever aucun Français n’en serait sorti vivant”.
Raymond Dunand fut un de ces survivants. Il est parti définitivement il y a près de 6 ans — ce fut sa dernière “évasion”. Mais ses souvenirs de l’enfer du triangle de la mort demeurèrent intacts. Avec sa pudeur coutumière, son fils les évoque loin de toute anecdote superfétatoire après avoir versé dans la tranchée ouverte pour l’accueillir un doigt de terre, “souvenir brûlant de sa jeunesse. / Un rien de là-bas”.
Fidèle à son économie sémantique, Michel Dunand se glisse dans la tête et le corps de celui qui a subi la souffrance du froid, de la douleur et de la soif. Mais chez l’auteur le pathos n’est jamais de mise.
Et au moment où une vie retourne à sa source pour “toucher le ciel”, le poète cherche à reproduire comme son père ce qui sauve : “Se construire un petit manoir intérieur. Se construire, avant tout”.
Dans cette évocation de Rawa auquel l’auteur s’adresse ainsi : “Le Sahel / est mieux / loti / que toi”, il suggère combien un tel lieu a imprégné sa vie. Et a peut-être traumatisé l’enfant de la guerre. Si bien que pour son père comme pour lui “s’appartenir est un sacré travail”.
L’auteur le poursuit en élaguant tous les détails pour que la vie devienne moins pire et plus supportable. En espérant qu’elle ne se répète pas — du moins dans ses épisodes les plus redoutables.
Le livre pose aussi et une nouvelle fois la question du qui suis-je ? et de si je suis. D’où cette remontée du temps et de l’histoire. Afin de “Traverser le miroir” et “voir en enfant” pour ne rien lâcher mais tout autant et surtout afin de (re)devenir libre.
Un tel livre apprend que toute libération reste avant tout intime. Et y demeure le poète du poète : ce père qui lui a appris à se mériter de jour en jour, de nuit en nuit. Tout reste ici superbement pondéré — depuis les allusions au camp jusqu’à celles de la fin de l’existence — en une remontée qui prouve que vivre en désert est possible.
Le poète lui-même dans ses voyages en a connus. Ils furent moins arides que celui du père qui fut humilié par ses bourreaux.
Il sut ne pas faiblir mais son fils entend encore siffler les balles qui lui étaient adressées.
jean-paul gavard-perret
Michel Dunand, RAWA-RUSKA le camp de la soif, Voix d’encre, 2021, non paginé — 17,00 €.