Le premier et le dernier roman de Paola Pigani parus chez le la même éditrice Liana Levi ont un point commun évident, celui de trouver leur matière dans le réel, dans l’Histoire.
En 2013, N’entre pas sans mon âme avec tes chaussures évoque un épisode assez méconnu du sort réservé aux tsiganes, dans la France occupée et particulièrement la vie très dure de ces derniers dans le camp d’internement des Alliers en Charente, non loin d’Angoulême, entre 1940 et 1946.
Ils ont vécu toutes ces années dans des conditions terribles : le froid, la malnutrition, le manque d’hygiène, les maladies…
Certains n’ont pas survécu à de tels traitements.
En 2021, Et ils dansaient le dimanche se situera à Vaulx-en-Velin, près de Lyon, autour et dans l’usine de viscose, dans l’entre-deux-guerres.
Les personnages sont dans les deux livres des « étrangers » : les nomades des roulottes d’une part et les travailleurs venus de divers pays d’Europe, recrutés par le patronat français, d’autre part. Ils sont tous objets de mépris.
Ce qui frappe le lecteur ou la lectrice, c’est la présence d’un après-texte, d’une sorte de postface, dont le titre roman et réalité éclaire sur le contexte historique de la « fable », de la fiction, pour les deux romans. Comme si l’auteure donnait à son texte avant tout une dimension politique (être du côté de la Résistance dans le premier roman et du côté du monde ouvrier dans le second) et fondait son inventio, sur le principe d’une reconstitution des faits, du sort réservé aux hommes et aux femmes à travers le surgissement de personnages.
Avec N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Paola Pigani explicite encore davantage sa méthode en ces termes : je remercie Alexienne Wintersteindont la vie m’a inspiré le personnage d’Alba.
La tradition du roman historique voulait que des noms appartiennent à l’Histoire dans la narration, (un roi, des politiques etc) et deviennent des pièces maîtresses des récits, des acteurs entrant en relation avec des êtres de pure fiction. Ici il n’est question que de transpositions poétiques. Alba et les siens ( ses parents, son « homme » et son petit frère René, ses enfants, Mine la française amie ou Michel le résistant) représentent des possibles, des vraisemblances étayés par la documentation.
En effet, il existe des photos des Alliers et de ses baraquements, des témoignages archivés, des travaux historiques sur la période. Paola Pigani veut rendre justice à des anonymes, victimes des lois iniques de la Collaboration, en zone occupée qui a recensé les manouches afin de les regrouper, grâce au carnet anthropométrique mis en place en 1912 et qu’ils devaient présenter aux autorités.
Le roman est introduit d’ailleurs par un texte à la première personne signé P.P qui revient sur une période de sa vie en Charente, côtoyant elle –même ainsi que sa famille, des gens du voyage. Sa famille d’émigrés italiens.
Elle veut écrire sur des silences, un lieu qui n’existe plus. La poésie, l’écriture feront le reste.
Il n’est pas anodin de souligner que Paola Pigani a d’abord écrit de la poésie et des nouvelles. Elle cite, sur le seuil de son roman, un poème de Guillevic, extrait du recueil Gagner comme s’il était nécessaire de faire entrer la poésie dans le roman en prose.
La poésie s’accroche aux images de la nature et des saisons, de la cosmogonie des gitans, de gestes humbles du quotidien, des corps, de la présence de la musique d’un violon discordant, et d’un mystérieux proverbe qui fait titre.
D’un monde qui ne sait pas écrire mais sait ressentir la vie et la mort.
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marie du crest
Paola Pigani, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, éditions Liana Levi, collection piccolo, 220 p. — 9,50 €.