Maurizio Serra, Le mystère Mussolini

Le Duce et ses mystères

Des trois tyrans de la Seconde Guerre mon­diale, il est celui qui inté­resse le moins. Ques­tion de poids et de res­pon­sa­bi­lité sans doute. Mais aussi de cruauté, Mus­so­lini ne traî­nant pas der­rière lui de sinistres cohortes de cadavres. Le connaît-on donc vrai­ment ?
Mal en vérité, d’où le grand inté­rêt à lire l’élégante bio­gra­phie écrite par Mau­ri­zio Serra, Ita­lien membre de l’Académie fran­çaise, inti­tu­lée avec jus­tesse Le mys­tère Mus­so­lini.

Dans la pre­mière par­tie, le lec­teur fran­çais décou­vrira les dif­fé­rentes facettes de cet homme en réa­lité très secret. L’auteur insiste sur sa misan­thro­pie, sa froi­deur, sa soli­tude, son absence d’illusion sur la nature humaine et son mépris pour la foule. Avec cela men­teur patenté et équi­li­briste idéo­lo­gique, « sexuel­le­ment pri­maire » et amou­reux transi, mar­qué par le carac­tère de sa mère.
Mais il pense avoir trouvé le res­sort prin­ci­pal de cette incroyable des­ti­née dans une soif inex­tin­guible de pou­voir, une ambi­tion à exer­cer les plus hautes res­pon­sa­bi­li­tés nour­rie depuis tou­jours. Cette par­tie est sans conteste la plus passionnante.

Les deux autres renouent avec le récit bio­gra­phique plus clas­sique mais res­tent tou­jours au niveau d’une ana­lyse intime, presque lit­té­raire, du Duce et de son exer­cice du pou­voir, tous les deux fina­le­ment pris dans une dyna­mique de radi­ca­li­sa­tion qui s’avèrera fatale pour l’homme, pour ses proches, son régime et pour l’Italie toute entière en fin de compte.
La poli­tique étran­gère mus­so­li­nienne occupe une place pré­pon­dé­rante dans la deuxième par­tie, ce qui a l’avantage non seule­ment de nous plon­ger dans les affres de l’entre-deux-guerres, mais aussi dans les res­sorts de la mor­telle alliance avec le IIIe Reich et son démo­niaque Füh­rer que Mus­so­lini pour­tant mépri­sait avant de subir un ascen­dant quasi dia­bo­lique. Serra y voit la marque de cette ten­dance, très nette chez le dic­ta­teur ita­lien, à tou­jours aller vers le plus fort.

Bien des ana­lyses sur l’homme, son par­cours et ses idées, disons-le, ne plai­ront guère à une cer­taine presse et à d’éminents his­to­riens, encore per­sua­dés d’avoir affaire à un vul­gaire régime d’extrême-droite. Bien loin de ces pon­cifs, Mau­ri­zio Serra insiste sur la per­ma­nence d’une cer­tain socia­lisme chez le Duce, rap­pe­lant que cer­taines ins­ti­tu­tions du régime parmi les plus sinistres furent ins­pi­rées de l’exemple sovié­tique (la Tcheka res­pon­sable de la mort de Mat­teotti comme le Tri­bu­nal spé­cial pour la défense de l’Etat) et qu’il finit par éprou­ver une réelle admi­ra­tion pour Sta­line.
Jamais le fas­cisme, aussi pro­téi­forme fut-il, ne se coupa de ses racines socia­listes. C’est donc avec rai­son que Serra voit dans les dic­ta­teurs d’Amérique latine, sur­tout Cas­tro, l’héritier du Duce… Mus­so­lini le révo­lu­tion­naire et qui le resta toute sa vie !

Ce récit, écrit dans un fran­çais des plus déli­cieux, nourri de très nom­breux témoi­gnages des contem­po­rains, de l’expérience per­son­nelle et des connais­sances de l’auteur, se lit avec un très grand plai­sir et nous entraîne dans une his­toire en vérité tra­gique pour l’Italie.
Car, faut-il encore le rap­pe­ler, ce sont bien les hommes qui font l’histoire. Mus­so­lini le prouve.

fré­dé­ric le moal

Mau­ri­zio Serra, Le mys­tère Mus­so­lini, Per­rin, sep­tembre 2021, 464 p. — 25,00 €.

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