Laurent Pépin, Monstrueuse féerie

Culti­ver l’amour des monstres

Ce roman-conte est une his­toire de vie et de mort. Et à mesure que le livre avance, leur fron­tière est floue. Comme celle entre le réel et l’irréel. Et tout est en place dès les pre­mières lignes : “Il y a tou­jours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. Je ne le fais pas vrai­ment exprès. Mais tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite.“
Et sans doute le narrateur-auteur plus que les autres. Il les laisse venir afin qu’ils brouillent sa logique et lui per­mettent de répondre à ses ques­tions premières.

Mais l’enfant de jadis s’est trans­formé en psy­cho­logue dans le ser­vice pour malades volu­biles du Centre psy­chia­trique. Le tout ou au moins une par­tie pour “éta­blir des ponts entre la poé­sie clas­sique ou contem­po­raine et le contenu déli­rant des décom­pen­sa­tions poé­tiques des patients du Centre.“
Le résul­tat n’est pas for­cé­ment pro­bant. Mais tout compte fait cela est secondaire.

L’essen­tiel tient aux péré­gri­na­tions men­tales du nar­ra­teur pris entre l’amour de son Elfe et celui des Monu­ments. Comme ceux qu’il ren­contre au centre : “Les Monu­ments, la plu­part des gens ne savent pas que ce sont des poètes. Quand ils délirent, on appelle ça des “décom­pen­sa­tions psy­cho­tiques”. Je rem­place par “poé­tiques”, je pré­fère. Et cela afin d’évoquer avec plus de pré­ci­sion la puis­sance du Verbe, sur­tout chez ces gens qui ont dû déci­der en urgence d’un truc inau­gu­ral afin de pou­voir se tenir debout face aux vivants.”

D’une cer­taine manière le nar­ra­teur est un de ses monu­ments. Il évoque à bâtons rom­pus ses conver­sa­tions avec son propre monde plu­tôt qu’avec l’improbable direc­trice du centre. Face à elle — et pas seule­ment -, la magie inhé­rente au héros fonc­tionne pen­dant un temps avant que tout se détracte dans “l’apogée” finale.
Mais bien avant, c’est quand il com­mence à com­prendre qu’il va perdre sa mère que ses sou­ve­nirs ou “monstres” res­sur­gissent d’une façon de plus en plus cau­che­mar­desque et que la réa­lité autour se trans­forme également.

Néan­moins, quand il est sous per­fu­sion d’un amour en mou­ve­ment, drôle, tendre et même absurde le psy­cho­logue garde les yeux ouverts — ce qui dans son cas n’est qu’une façon de par­ler — et peut réveiller le monde. Mais son Elfe défaillante finit par tout cas­ser.
Si bien que le sombre héros finit par tra­vailler du cha­peau. Mais cela ne change rien à la donne.

C’est sans doute qu’avant de se réveiller il est devenu psy­cho­logue et qu’il a appris à culti­ver l’amour des monstres et des monuments.

jean-paul gavard-perret

Laurent Pépin, Mons­trueuse fée­rieFlat­land édi­tions,  coll. La tan­gente, 2020, 100 p. — 8, 50 €.

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