Cultiver l’amour des monstres
Ce roman-conte est une histoire de vie et de mort. Et à mesure que le livre avance, leur frontière est floue. Comme celle entre le réel et l’irréel. Et tout est en place dès les premières lignes : “Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. Je ne le fais pas vraiment exprès. Mais tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite.“
Et sans doute le narrateur-auteur plus que les autres. Il les laisse venir afin qu’ils brouillent sa logique et lui permettent de répondre à ses questions premières.
Mais l’enfant de jadis s’est transformé en psychologue dans le service pour malades volubiles du Centre psychiatrique. Le tout ou au moins une partie pour “établir des ponts entre la poésie classique ou contemporaine et le contenu délirant des décompensations poétiques des patients du Centre.“
Le résultat n’est pas forcément probant. Mais tout compte fait cela est secondaire.
L’essentiel tient aux pérégrinations mentales du narrateur pris entre l’amour de son Elfe et celui des Monuments. Comme ceux qu’il rencontre au centre : “Les Monuments, la plupart des gens ne savent pas que ce sont des poètes. Quand ils délirent, on appelle ça des “décompensations psychotiques”. Je remplace par “poétiques”, je préfère. Et cela afin d’évoquer avec plus de précision la puissance du Verbe, surtout chez ces gens qui ont dû décider en urgence d’un truc inaugural afin de pouvoir se tenir debout face aux vivants.”
D’une certaine manière le narrateur est un de ses monuments. Il évoque à bâtons rompus ses conversations avec son propre monde plutôt qu’avec l’improbable directrice du centre. Face à elle — et pas seulement -, la magie inhérente au héros fonctionne pendant un temps avant que tout se détracte dans “l’apogée” finale.
Mais bien avant, c’est quand il commence à comprendre qu’il va perdre sa mère que ses souvenirs ou “monstres” ressurgissent d’une façon de plus en plus cauchemardesque et que la réalité autour se transforme également.
Néanmoins, quand il est sous perfusion d’un amour en mouvement, drôle, tendre et même absurde le psychologue garde les yeux ouverts — ce qui dans son cas n’est qu’une façon de parler — et peut réveiller le monde. Mais son Elfe défaillante finit par tout casser.
Si bien que le sombre héros finit par travailler du chapeau. Mais cela ne change rien à la donne.
C’est sans doute qu’avant de se réveiller il est devenu psychologue et qu’il a appris à cultiver l’amour des monstres et des monuments.
jean-paul gavard-perret
Laurent Pépin, Monstrueuse féerie, Flatland éditions, coll. La tangente, 2020, 100 p. — 8, 50 €.