Le voyage dans l’Est de la France permet à l’auteure de reconnaître — sous l’injonction de sa mère — son père et de se faire reconnaître par lui. Mais le voyage prend une autre tournure. Angot revient forcément et une fois de plus sur la question de l’inceste mais toujours en un retour étrange sur une volonté de reconnaissance.
Ce devoir ressenti comme capital tourne de plus en plus sur lui-même comme si l’auteure ne pouvait sortir de ce “jeu”.
Le langage en pâtit. Car ce “Voyage” d’un dialogue (mais sans échange) — avec la petite fille qu’elle était et qu’elle suit au nom de qui elle demeure dans son impossibilité de réparation face à l’empêchement majeur — creuse un sillon sans atteindre le fond de ce qui fut un désarroi (euphémisme).
L’auteure pose ici les pièces qui constituent cette enfant dans une forme de coexistence. Manque néanmoins une langue suffisamment solide pour inscrire la solitude de la fille qu’elle fut. La singularité qu’Angot veut afficher souffre pourtant de faiblesse sinon par des effets pétards propres à subjuguer les gogos. Le “ça parle” reste bien racorni.
L’omerta, la culpabilité, l’emprise sont exprimées sans grande originalité quoi qu’en dise l’auteure qui prétend les remplir de phrases.
Ce dédoublement (prétendu) est bien loin de ce qu’une Duras put en dire. Ni même à la hauteur des derniers livres témoignages sur l’inceste dont La Retenue de Corinne Grandemange (éditions des femmes). Et c’est bien l’ambiguïté d’une oeuvre qui décrit plus qu’elle est écrite.
L’ego et la volonté de reconnaissance rendent ce livre prétentieux par un regard qui, se voyant trop lui-même, ne voit pas grand-chose.
Preuve que ce roman — qui ne se veut pas témoignage — lui ressemble beaucoup. Et c’est pour cela qu’il reste inopérant faute de mots sensibles à cette “reconstitution”.
Angot ne sort pas de son rôle subi et d’une certaine pose. L’inceste reste un objet, un sujet mais pas un langage.
C’est pour cela que ce réel intéresse peu. Existe pourtant une pensée sous-jacente en marche. Mais l’ego démesurée la tourne en farce par excès de pauses faussement littéraires. Il faudrait que l’auteure trouve la bonne distance à elle-même pour dire enfin comment la pensée est entravée quand une puissance tierce s’en empare.
Ou mieux : la “chose” dite, elle devrait tourner la page vers un plus offrant là où ne joue qu’une auto-contemplation narcissique livrée à l’adoration du quidam.
jean-paul gavard-perret
Christine Angot , Le voyage dans l’Est, Flammarion, Paris, 2021, 224 p.