Christine Angot, Le voyage dans l’Est

Se voir ou se mévoir 

Le voyage dans l’Est de la France per­met à l’auteure de recon­naître — sous l’injonction de sa mère — son père et de se faire recon­naître par lui. Mais le voyage prend une autre tour­nure. Angot revient for­cé­ment et une fois de plus sur la ques­tion de l’inceste mais tou­jours en un retour étrange sur une volonté de recon­nais­sance.
Ce devoir res­senti comme capi­tal tourne de plus en plus sur lui-même comme si l’auteure ne pou­vait sor­tir de ce “jeu”.

Le lan­gage en pâtit. Car ce “Voyage” d’un dia­logue (mais sans échange) — avec la petite fille qu’elle était et qu’elle suit au nom de qui elle demeure dans son impos­si­bi­lité de répa­ra­tion face à l’empêchement majeur — creuse un sillon sans atteindre le fond de ce qui fut un désar­roi (euphémisme).

L’auteure pose ici les pièces qui consti­tuent cette enfant dans une forme de coexis­tence. Manque néan­moins une langue suf­fi­sam­ment solide pour ins­crire la soli­tude de la fille qu’elle fut. La sin­gu­la­rité qu’Angot veut affi­cher souffre pour­tant de fai­blesse sinon par des effets pétards propres à sub­ju­guer les gogos. Le “ça parle” reste bien racorni.
L’omerta, la culpa­bi­lité, l’emprise sont expri­mées sans grande ori­gi­na­lité quoi qu’en dise l’auteure qui pré­tend les rem­plir de phrases.

Ce dédou­ble­ment (pré­tendu) est bien loin de ce qu’une Duras put en dire. Ni même à la hau­teur des der­niers livres témoi­gnages sur l’inceste dont La Rete­nue de Corinne Gran­de­mange (édi­tions des femmes). Et c’est bien l’ambiguïté d’une oeuvre qui décrit plus qu’elle est écrite.
L’ego et la volonté de recon­nais­sance rendent ce livre pré­ten­tieux par un regard qui, se voyant trop lui-même, ne voit pas grand-chose.

Preuve que ce roman — qui ne se veut pas témoi­gnage — lui res­semble beau­coup. Et c’est pour cela qu’il reste inopé­rant faute de mots sen­sibles à cette “recons­ti­tu­tion”.
Angot ne sort pas de son rôle subi et d’une cer­taine pose. L’inceste reste un objet, un sujet mais pas un langage.

C’est pour cela que ce réel inté­resse peu. Existe pour­tant une pen­sée sous-jacente en marche. Mais l’ego déme­su­rée la tourne en farce par excès de pauses faus­se­ment lit­té­raires. Il fau­drait que l’auteure trouve la bonne dis­tance à elle-même pour dire enfin com­ment la pen­sée est entra­vée quand une puis­sance tierce s’en empare.
Ou mieux : la “chose” dite, elle devrait  tour­ner la page vers un plus offrant là où ne joue qu’une auto-contemplation nar­cis­sique livrée à l’adoration du quidam.

jean-paul gavard-perret

Chris­tine Angot , Le voyage dans l’Est, Flam­ma­rion, Paris, 2021, 224 p.

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