Jacqueline Merville, Le Courage des rêveuses

Pour qui sonne le glas

Depuis 1992, Jac­que­line Mer­ville vit entre l’Asie et le sud de la France. Elle a éga­le­ment vécu au Mexique, au Maroc, au Togo, en Amé­rique du Nord et au Laos.
Depuis 2004, elle dirige “Le Vent refuse”, une col­lec­tion de livres d’artistes.

Dans son der­nier roman, au sein d’un pay­sage lunaire et déser­tique, une femme s’échappe d’un camp où elle a été enfer­mée à la suite de l’explosion d’un site qui l’a vio­lem­ment conta­mi­née.
Elle y a subi des expé­ri­men­ta­tions scien­ti­fiques et s’est fait pas­ser pour morte afin de s’évader.

La nar­ra­trice marche en quête de liberté et de remé­mo­ra­tion. Ses sou­ve­nirs refont sur­face par bribes nébu­leuses.
Ce qu’elle nous livre d’elle est donc non pas seule­ment ce qui lui est arrivé — et qui est déjà extra­or­di­naire — mais ce qu’elle par­vient à dire en une langue lim­pide, cir­cons­tan­ciée et dense qui oblige lec­trices et lec­teurs à des retours sur ce qu’il existe de plus pro­fond et d’intime.

Bref, les rêveuses par leur cou­rage imposent un miroir qu’elles nous tendent là où le texte est grevé de ter­ribles évé­ne­ments tels que l’horreur de la Shoah ou le Tsu­nami que l’auteure avait relaté déjà dans The Black Sun­day (des femmes-Antoinette Fouque, 2005). Mais il y plus car le livre nous ramène au pré­sent.
Sans appa­raître stricto sensu, la pan­dé­mie du Covid-19 rampe au moment où la rêveuse et “sur­vi­vante” finit par se réveiller. Son songe reste d’une actua­lité per­cu­tante au moment où bien des ques­tions demeurent : “J’ignore ce qu’est devenu le monde dont je me sou­viens.”. Mais d’ajouter aus­si­tôt : “De ma mémoire je me méfie aussi. Est-ce bien la mienne ?”

Pour le savoir — écrit-elle — “Il fau­drait que je puisse par­ler avec celles et ceux qui n’ont pas eu la tête les­si­vée. Alors je sau­rais que le monde dont je me sou­viens est réel­le­ment le monde”. Des ques­tions demeurent et occupent la nar­ra­trice à chaque pas et courent sur le cla­vier.
Se retrouvent alors bien des épi­sodes jaillis de sa mémoire, issus des catas­trophes d’Afrique ou d’ailleurs à mesure qu’elle éprouve l’impression de pas­ser d’un corps à l’autre au milieu des femmes.

Dans cette dérive entre rêve, cau­che­mar et réa­lité bien des doutes qui per­sistent. “Les méde­cins de camp cherchaient-ils une issue géné­rale à nos corps conta­mi­nés et pour en faire quoi ?“
La ques­tion reste réma­nente en ce qui devient un texte aux émo­tions sub­tiles et lan­ci­nantes. Il reste bien plus dys­to­pique que complotiste.

C’est ainsi que court la rêveuse et pour nous réveiller face à un monde qui demeure opaque et sur lequel les prises sont rares.

jean-paul gavard-perret

Jac­que­line Mer­ville, Le Cou­rage des rêveuses, édi­tions des femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2021, 96 p. — 10,00 €.
Paru­tion le 14 octobre 2021.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>