“Portrait de l’artiste a specchio”
Les quelques 750 pages de Ajours se lisent d’une traite. Même chez un lecteur pour lequel le journal intime n’est pas et de loin le genre littéraire préféré.
Chacun sait en effet combien le comment dire d’une telle entreprise cache un comment taire.
Or Titus-Carmel prend par surprise le lecteur et le genre lui-même. Certes, s’y retrouve ce qui fait la matière première d’un genre, à savoir une matière de vie.
Et c’est en retrouvant une boîte de photographies de son enfance qu’une telle entreprise a débuté.
Par effet de retour d’un “je” dans un “je” premier, l’auteur — un peu comme Rousseau dans ses Confessions — défend une thèse : la justification d’une ipséité par l’immixtion d’un rapport à l’altérité à soi-même dans le travail au temps. L’auteur et artiste est très fort en son choix stratégique. A l’autobiographie, il préfère ce qu’il intitule “rêve autobiographique”.
Titus-Carmel lève ainsi l’ambiguïté que recèlent les mémoires et l’autobiographie.
Ajours, comme son titre l’indique, crée des espaces au sein de l’entreprise mémorielle. En de tels nécessaires trous d’air s’engouffre un autre type de vérité : “non celle du souvenir mais celle de l’écriture elle-même dotée d’exigences propres” (quatrième de couverture). Car — et faut-il le rappeler ? — si Titus-Carmel reste un artiste majeur, il demeure un écrivain du même tonneau. Ce livre le prouve au moment où il change de braquet. Ce qui n’est pas sans nous surprendre.
Celui qui jusque-là s’était révélé poète (citons parmi plus d’une trentaine de titres “La tombée”, “Ceci posé”, “Ressac” ou “Horizon d’attente” et théoricien de l’art) se révèle un fantastique prosateur.
Son “Portrait de l’artiste a specchio” transforme la matière de vie en différents pans significatifs. A qui se demande ce qu’est l’écriture et ce qu’elle produit, le livre prouve comment une vie fléchée se noue à l’écriture. Les pages se succèdent pour prêter à la réalité une manière de fonder un sens et un chant. L’ouvrage trouve un chemin opposé au classique journal infime.
Titus-Carmel montre comment il a vécu dans et par l’art depuis le choc premier et les aventures qu’il a suscité pour et dans l’affirmation de l’homme en tant qu’artiste et écrivain.
jean-paul gavard-perret
Gérard Titus-Carmel, Ajours — Un rêve autobiographique, L’Atelier Contemporain, coll. “Littérature”, Strasbourg, 2021, 754 p. — 25,00€.
Mise en vente le 17 septembre 2021.