Des soldats favorables à l’Algérie française le 1er février 1960. AFP/JEAN-CLAUDE COMBRISSON
La présence algérienne en France est d’une actualité indéniable. Il y a eu cette vague de reconnaissances et de voyages. Il y a eu célébrations. Il y a eu partage : des lignes ont été tracées, des perspectives redéfinies. Mais au– delà des lignes, les hommes ont toujours, par leurs exils et leurs mémoires, rendu les partages difficiles, déchirants. Des deux côtés de la mer, des Français. Une partie d’entre eux, importante, a quitté l’Algérie en guerre pour travailler dans une France, en guerre sans l’être. De 1954 à 1962, la population algérienne en France est passée de 220 000 à 350 000 personnes. Présence problème pour les autorités, mais présence ressource pour les mouvements nationalistes. Enjeu de mémoire depuis : présence cristallisée. Figée.
Il est temps de donner du sens, une signification à cette présence, d’en faire non pas un acte de mémoire, ni un geste politique mais tout simplement un fait d’histoire. Il faut que cette présence devienne banale et comprise, qu’elle accède une fois pour toutes au rang heureux d’un confort anonyme. C’est pour cela qu’il faut encore l’éclairer à coups de projecteurs, à coups de témoins. L’ère du témoin n’est pas close, et le temps de l’historien a déjà bien commencé.
Un film : Octobre à Paris de Jacques Panijel
Octobre à Paris a été saisi par la Police dès sa première projection en 1962. Il n’a obtenu son visa d’exploitation qu’en 1973, à la suite de la grève de la faim menée par René Vautier. De nombreux films ont évoqué les circonstances du massacre du 17 octobre 1961. Aucun ne l’a fait de cette manière. Et pour cause : ces images là sont trempées dans l’immédiateté de l’événement. L’ombre du massacre plane encore sur ces hommes qui témoignent. A peine quelques jours après les faits, les animateurs et anciens résistants éminents du comité Audin, dont Pierre Vidal-Naquet décident de réaliser un film. Jacques Panijel s’en charge. Il réunit une équipe de bénévoles et tourne, enregistre les témoignages dans les gourbis de Paris. Les témoignages sont denses, précis. Ils sont dits avec une forme de modestie et de retenue qui contraste avec la violence des faits. Laisser dire, faire entendre. Peu importe ce qu’ils sont devenus. Voilà ce qu’ils ont vécu en octobre. Ca… et puis ça. Pas d’esthétique, mais de la retenue. Ce film n’a rien de séduisant, il ne tirera aucune larme, ne dégagera aucune piste de réflexion. Il y a l’urgence du moment. Document brut sans fioritures ni effets de styles, ce film impose juste sa présence, son exigence, son engagement : « Qu’est ce qu’il faut donc encore pour que tout le monde comprenne que tout le monde est un youpin, que tout le monde est un bicot ? Tout le monde. ».
Un témoignage : Monique Hervo et la Folie, Nanterre
Au début des années 60, environ 50 000 personnes en France vivaient dans des bidonvilles. En août 1959, Monique Hervo, jeune militante du Service Civique International pénètre au sein d’un bidonville construit sur le terrain de la Folie, à Nanterre. Une seule adresse : le 127, rue de la Garenne pour plus de 2000 Algériens qui vivent là, dans des conditions déplorables. Monique Hervo va y rester des années, partageant la vie des familles, dont beaucoup viennent de Khenchala, bourgade des Aurès, fuyant les déplacements de populations et les exactions. Monique Hervo a alors tenu un journal, minutieux, précis : véritable chronique documentée de ces années de guerre. Publié une première fois en 2001, il a bénéficié récemment d’une nouvelle édition de belle facture par les éditions Actes Sud. A la fois matière et récit, le document est là. L’immersion est garantie à deux pas de Paris dans un non-lieu, fait de brics et de brocs, où se croisent des destins particuliers, des destins français musulmans d’Algérie, destins d’exilés.
Laurent Maffre s’est appuyé sur le récit de Monique Hervo pour réaliser une très belle bande dessinée sensible et humaniste : Demain, demain. Laurent Maffre est d’ailleurs un des auteurs (avec Fabrice Osinski et Thomas Gabison) d’une frise interactive (reconnue et récompensée par le prix SCAM 2012 des écritures numériques) produite par Arte (bidonville-nanterre.arte.tv)
La Folie de Nanterre peut ainsi émerger comme lieu de mémoire…
Une exposition : Vies d’exil, palais de la Porte dorée
Pour donner à ces expériences, à ces témoignages, une dimension collective qui transcende les identités, il fallait donner à voir et à penser ces vécus : les exposer. C’est chose faite grâce à l’excellente exposition proposée actuellement à la Cité Nationale d’Histoire de l’Immigration de la Porte dorée : Vies d’exils, jusqu’au 19 mai 2013. En s’appuyant sur une diversité d’oeuvres (lettres, articles, documentaires, dessins, oeuvres d’art…) l’exposition, préparée par Benjamin Stora et Linda Amiri, revient sur les parcours, les vécus et les représentations de ces Algériens en France pendant la guerre d’Algérie : et c’est toute la singularité de cette population écartelée entre ses engagements politiques nationalistes et ses préocupations quotidiennes (écoles, transport, logement,…) qui ressort. Entre histoire et mémoire, cette expérience a toute sa place dans une nation apaisée.
camille araynossy
Références
- DVD Octobre à Paris, un film de Jacques Panijel, 1961, Edité par les Editions Montparnasse en Octobre 2012. N&B, 68 mn. 15 €. Compléments : « A propos d’Octobre » un film réalisé par Mehdi Lallaoui (19 mn) et « 17 Octobre 1961 », un film réalisé par Sebastien Pacot (51 mn).
- Monique Hervo, Nanterre en guerre d’Algérie, chroniques du bidonville 1959 — 1962, Préface de François Maspero, Actes Sud BD, septembre 2012, 250 p. — 23,00 €.
- Laurent Maffre, Demain, Demain : Nanterre bidonville de la Folie 1962–1966, suivi de 127, rue de la Garenne raconté par Monique Hervo, Actes Sud BD / Arte Editions, mai 2012 — 23,00 €.
Un web-documentaire accompagnant cet ouvrage est à découvrir ici : www.bidonville-nanterre.arte.tv/fr
BONJOUR,
DOCUMENTAIRE : HARKIS LES CAMPS DE LA HONTE HOCINE
SUR DAILYMOTION
MERCI
L’adresse de la frise d’arte n’est pas sur arte.tv -> http://www.127ruedelagarenne.fr/