Ed Wood : phosphates et phosphènes
Dans les plis de son livre, Ed Wood — considéré à tort comme le pire cinéaste d’Hollywood pour avoir tourné « Plan 9, From Outer Space » — creuse la colline la plus célèbre de l’histoire du cinéma. Sur son échine, Mulholland Drive en perd ses virages. N’en demeurent que les accidents de parcours. Toutefois, à coup de découpes et de coulées et plutôt que de distiller des acrimonies sur un monde de cruauté, l’auteur se « contente » d’expliquer comment survivre et vivre dans le lieu de la sophistication. Le cinéaste s’adresse aux apprentis acteurs et cinéastes. Il donne des conseils précis et documentés (dont Woody Allen se servira en ses propres livres) : dans quelle pension descendre, comment trouver un agent, comment survivre aux désillusions d’optiques (mais pas seulement).
En ce manuel de savoir-joyeusement-vivre le capharnaüm du cinéma, l’humour est constant. Si bien qu’un tel texte est universel. Ed Wood n’agit pas en simple guide ou échotier. Son livre reste le lieu où sont cachées les choses de la vie autant du côté de la plénitude que de celle du néant. Au chaos de Los Angeles, le créateur impose son propre désordre, ses glissements, ses gambades. Immobile et mouvante, son écriture est aussi décapante que vivante et s’éloigne d’une conception étriquée de la littérature.
Dans le lieu de l’apparente superficialité, du paraître et de l’apparat, cette manière d’aborder son réel n’interrompt pas pour autant certaines rêveries au sens où Rousseau employait ce mot. Il s’agit là de rêveries concrètes loin de tout ce que le quotidien médiatique fait croire en ses reportages sur la Cité des Anges. L’auteur montre le « hardware » des usines à diaphanéités Au cœur des montagnes de stucs, des palais en façades, l’auteur provoque une lecture acerbe de ces futilités ambiantes. Il connaissait plus qu’un autre la nécessité d’un tel ouvrage. Les ambitieux comme les rêveurs avaient besoin d’un tel pense-pas-bête et de ses digressions agissantes. Dégagés de tout pittoresque, des espaces clos sont ouverts. Ils fourmillent d’attentes autant dans le réel que dans l’illusoire. Ils rendent la beauté du cinéma comme ses ratés moins distants ou comme disait Michaux plus « compères ».
Jamais nihiliste et un des moins narcissiques qui soit, l’auteur, plutôt que de raconter par le menu ses moindres émois, ses plus insignifiantes expériences ou de « dégommer » l’industrie cinématographique afin de dresser un état de sa désolation, fait un point de la situation. Hollywood devient un laboratoire. L’usine à loisirs est mise à nue avec une indépendance d’esprit que beaucoup de chroniqueurs et de diaristes peuvent envier à l’auteur moins « méchant » créateur qu’homme fort civil et écrivain coruscant.
Perce un secret de la vie dont on ignore par les films presque tout. Loin des remugles amers et lourds de phosphates iconographiques subsistent paradoxalement bien des félicités. Le rêve vaut son risque. Si bien que la vie d’un artiste qui souvent n’a été vue (sous les traits de Johnny Depp) qu’au bout des défaites éclate en énergie. L’auteur crée en son « Hollywood pour les Nuls » un espace entropique. S’y résument les trésors simples que le monde des illusions et des paillettes maquille et rate en conséquence. Preuve que les lumières des spotlights de la Paramount et de Universal sont plus faibles qu’on l’imagine. Elles restent comparables à celle qu’on distingue à l’approche du port de Malibu la nuit lorsqu’on vient du Pacifique. Avec Ed Wood, elles se métamorphosent en phosphènes dans un livre sur l’image qui est tout sauf un livre d’images.
jean-paul gavard-perret
Ed Wood, Comment réussir (ou presque) à Hollywood, les conseils du plus mauvais cinéaste de l’histoire, Editions Capricci, Paris, 2013, 180 p. — 15,00 euros.
Ed Wood, Comment réussir (ou presque) à Hollywood, les conseils du plus mauvais cinéaste de l’histoire
Ed Wood : phosphates et phosphènes
Dans les plis de son livre, Ed Wood — considéré à tort comme le pire cinéaste d’Hollywood pour avoir tourné « Plan 9, From Outer Space » — creuse la colline la plus célèbre de l’histoire du cinéma. Sur son échine, Mulholland Drive en perd ses virages. N’en demeurent que les accidents de parcours. Toutefois, à coup de découpes et de coulées et plutôt que de distiller des acrimonies sur un monde de cruauté, l’auteur se « contente » d’expliquer comment survivre et vivre dans le lieu de la sophistication. Le cinéaste s’adresse aux apprentis acteurs et cinéastes. Il donne des conseils précis et documentés (dont Woody Allen se servira en ses propres livres) : dans quelle pension descendre, comment trouver un agent, comment survivre aux désillusions d’optiques (mais pas seulement).
En ce manuel de savoir-joyeusement-vivre le capharnaüm du cinéma, l’humour est constant. Si bien qu’un tel texte est universel. Ed Wood n’agit pas en simple guide ou échotier. Son livre reste le lieu où sont cachées les choses de la vie autant du côté de la plénitude que de celle du néant. Au chaos de Los Angeles, le créateur impose son propre désordre, ses glissements, ses gambades. Immobile et mouvante, son écriture est aussi décapante que vivante et s’éloigne d’une conception étriquée de la littérature.
Dans le lieu de l’apparente superficialité, du paraître et de l’apparat, cette manière d’aborder son réel n’interrompt pas pour autant certaines rêveries au sens où Rousseau employait ce mot. Il s’agit là de rêveries concrètes loin de tout ce que le quotidien médiatique fait croire en ses reportages sur la Cité des Anges. L’auteur montre le « hardware » des usines à diaphanéités Au cœur des montagnes de stucs, des palais en façades, l’auteur provoque une lecture acerbe de ces futilités ambiantes. Il connaissait plus qu’un autre la nécessité d’un tel ouvrage. Les ambitieux comme les rêveurs avaient besoin d’un tel pense-pas-bête et de ses digressions agissantes. Dégagés de tout pittoresque, des espaces clos sont ouverts. Ils fourmillent d’attentes autant dans le réel que dans l’illusoire. Ils rendent la beauté du cinéma comme ses ratés moins distants ou comme disait Michaux plus « compères ».
Jamais nihiliste et un des moins narcissiques qui soit, l’auteur, plutôt que de raconter par le menu ses moindres émois, ses plus insignifiantes expériences ou de « dégommer » l’industrie cinématographique afin de dresser un état de sa désolation, fait un point de la situation. Hollywood devient un laboratoire. L’usine à loisirs est mise à nue avec une indépendance d’esprit que beaucoup de chroniqueurs et de diaristes peuvent envier à l’auteur moins « méchant » créateur qu’homme fort civil et écrivain coruscant.
Perce un secret de la vie dont on ignore par les films presque tout. Loin des remugles amers et lourds de phosphates iconographiques subsistent paradoxalement bien des félicités. Le rêve vaut son risque. Si bien que la vie d’un artiste qui souvent n’a été vue (sous les traits de Johnny Depp) qu’au bout des défaites éclate en énergie. L’auteur crée en son « Hollywood pour les Nuls » un espace entropique. S’y résument les trésors simples que le monde des illusions et des paillettes maquille et rate en conséquence. Preuve que les lumières des spotlights de la Paramount et de Universal sont plus faibles qu’on l’imagine. Elles restent comparables à celle qu’on distingue à l’approche du port de Malibu la nuit lorsqu’on vient du Pacifique. Avec Ed Wood, elles se métamorphosent en phosphènes dans un livre sur l’image qui est tout sauf un livre d’images.
jean-paul gavard-perret
Ed Wood, Comment réussir (ou presque) à Hollywood, les conseils du plus mauvais cinéaste de l’histoire, Editions Capricci, Paris, 2013, 180 p. — 15,00 euros.
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