José Carlos Becerra, Comment retarder l’apparition des fourmis

Le cocher, la mouche et les fourmis

Comment retar­der l’apparition des four­mis est le der­nier ouvrage de José Car­los Becerra (1936–1970). Il est rare dans l’histoire lit­té­raire récente, et plus par­ti­cu­liè­re­ment au Mexique, qu’un poète ait sus­cité un tel enthou­siasme dès ses pre­miers lec­teurs.
Octa­vio Paz, lui même par­lait de sa poé­sie comme “admi­rable et inquié­tante”. Il signa la pré­face de son nom de l’édition des oeuvres com­plètes du poète “L’automne par­court les îles”.

Dans ce livre der­nier, l’auteur casse la ver­si­fi­ca­tion. Elle se rétracte en une sorte de mini­ma­lisme sur l’espace de chaque page. Ce texte devient “un Jour­nal inté­rieur de son ultime voyage en Europe.” (Bruno Gré­goire). En effet, le poète est âgé de 33 ans lorsqu’il réa­lise son rêve de décou­vrir l’Europe. Londres d’abord puis une plon­gée vers la Grèce que l’auteur n’atteindra jamais.
Il se tue dans un acci­dent de voi­ture sur une route ita­lienne de la côte adriatique.

Sera retrouvé dans l’épave ce manus­crit. Le livre reprend le thème de la fini­tude humaine. Et il est pré­mo­ni­toire : les four­mis, en colonne et comme issues du néant, vont venir goû­ter ce qu’il res­tera de nos corps une fois que la vie les aura quit­tées. Dans leur “anthro­po­pha­gie rituelle”, elles mettent fin à tout ce que nous nous éver­tuons à bâtir contre l’inéluctable là où “La dimi­nu­tion du Paradis/produit une aug­men­ta­tion compensatoire”.

Nous décou­vrons donc “le scribe” lorsqu’il n’entend plus “la cou­leur blanche /parler entre ses dents”. Juste avant, l’âme n’aura pas man­qué de mots là où ses “limites / détien­dront les ponts que tu as tou­jours pré­vus, /et que les choses rece­vront la lumière appuyée sur cette chair”. Une der­nière fois et jusqu’au bout, l’auteur cher­cha à inven­ter tout — mais le nombre convenu de four­mis avait déjà qua­si­ment trans­formé ses mots en “mouches qui volent”.

Souvent ache­vés uni­que­ment par une vir­gule, les poèmes tentent de retar­der leur puis­sance car­nas­sière et ron­geuses. Au coeur du drame humain, l’ironie reste donc pré­sente. Pour sau­ver ce qui peut l’être dont “le bruit que fait le corps en expec­to­rant sa mort” et qui “parle de tout avec tous”. Flir­tant avec le néant, le poème aussi déri­soire qu’altier rap­pelle néan­moins que nous n’appartenons qu’aux ani­maux qui finissent ce que nous avons peut-être si mal accompli.

jean-paul gavard-perret

José Car­los Becerra, Com­ment retar­der l’apparition des four­mis (édi­tion bilingue), tra­duc­tion de l’espagnol (Mexique), notes & post­faces Bruno Gré­goire & Jean-François Hat­chondo, La Barque, 2021, 96 p. — 21,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to José Carlos Becerra, Comment retarder l’apparition des fourmis

  1. Jean-François Hatchondo

    J’aime beau­coup votre phrase de conclu­sion, l’un des traducteurs.

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