Un nouveau détective de l’étrange
Georges Hercule Bélisaire Beauregard est ingénieur-mage à Sequana, une ville construite sur les vestiges de l’ancienne magie. Il travaille sous la tutelle du duc de Vallombreuse, le ministre des Affaires étranges, pour régler les conflits entre les humains, venus peu à peu, et le peuple féerique Il possède un hôtel, à son nom, sur le Mont-Rouge, qui sert d’asile à la Féerie opprimée. Secondé par Isis, la sœur d’Osiris, et Albert (le Grand, revenu d’un voyage de sept siècles), il héberge les sans-domiciles féeriques et tous ceux qui sont chassés, entre autres, par les grands travaux de modernisme entrepris par le baron Hoffmann, sur ordre de l’empereur Oberon III. Celui-ci veut éradiquer la magie qui imprègne son royaume.
Des brèches existent entre le monde des Feys et celui des humains. C’est ainsi qu’arrive, du Grand Puits, une jeune femme qui dit s’appeler Jeanne. Elle intègre rapidement le cercle restreint des intimes de Beauregard, faisant état d’étranges pouvoirs qui pourraient lui être utiles.
Depuis quelque temps, un parasite pervertit l’atmosphère de Sequana. Et puis les événements se précipitent, le prince Udolphe, le neveu de l’empereur, disparaît Un post-mortem, repêché dans le fleuve délivre le message suivant : “J’ai enlevé Udolphe et je défie Georges Beauregard de le retrouver. À bon entendeur.” Titania, l’impératrice, convoque l’ingénieur-mage et lui impose de relever le défi…
Magies secrètes est un des trois romans qui composent le premier office de Pandore, la nouvelle collection dirigée par Xavier Mauméjean au Pré aux clercs. Pandore, une figure mythologique, est connue comme celle qui ouvrit la boite enfermant tous les maux du monde. Ceux-ci se sont alors répandus et l’humanité en subit les conséquences.
Hervé Jubert, dans un Paris féerique du XIXe siècle qui ressemble beaucoup à ce que nous connaissons comme le Second Empire, développe un récit mêlant traque policière et univers magique. Il imagine un monde où il intègre nombre d’éléments de la littérature de genre, de données et de faits authentiques, bat le rappel du ban et de l’arrière-ban de l’ésotérisme et de la féerie, les recompose et les incorpore dans son intrigue. Il mêle avec brio réalité et fiction, transposant, sans les dissimuler, des événements historiques du monde des humains dans son macrocosme féerique. Quelques exemples parmi la quantité : Beauregard a retrouvé les Ardents, ces nobles transformés, lors d’un bal costumé, en torche vivante, et s’en sert pour chauffer son hôtel et réaliser ainsi, de substantielles économies. Il cite un pamphlet qui dénonce sous le titre “Les comptes d’Hoffmann” les dépenses exagérées du baron pour recomposer Paris. Il révèle que John Dee, mathématicien, astronome, astrologue et espion de la reine Élisabeth, avait pour signature ésotérique un double zéro et un sept…
Il multiplie, pour ce faire, les renvois en bas de page. De plus, ceux-ci lui permettent, avec un ton et un contenu savoureux, de préciser certains points de son univers, de développer des personnages et d’expliciter agréablement les tenants et les aboutissants de son univers. Le choix des prénoms de son héros ne doit rien au hasard. C’est un hommage aux grands de la littérature policière.
De l’humour, encore de l’humour, toujours de l’humour ! On sourit, on rit, on se régale devant la virtuosité avec laquelle l’auteur dévoie, intègre, assimile les grands faits, les personnages tant historiques que de fiction. Il se livre à un véritable feu d’artifices de détournements et use de clés bien transparentes. Passionnant, ludique, foisonnant, érudit, Magies secrètes est un roman magnifique, servi par une écriture subtile, un livre à mettre entre toutes les mains, tant celles de jeunes adultes, (le public visé) que celles d’adultes qui savoureront ce feu d’artifice.
serge perraud
Hervé Jubert, Magies secrètes , Le pré aux clercs, coll. « Pandore », novembre 2012, 336 p. – 16,00 €.