photo Christophe Raynaud de Lage
« on entend, seulement loin dans la cerisaie, la hache qui cogne sur un arbre . »
Juillet 2021. Retour en Avignon. Retour à la Cerisaie de Tchekhov ; retour dans la cour d’honneur du Palais des papes.
Une cerisaie sans cerisiers, comme un vide, une absence qui anime les personnages de la pièce, adossée à la haute muraille de pierres trouée de fenêtres qui s’allument et s’éclairent dans la nuit de la représentation.
La posséder (Lopakhine à la fin), en être dépossédé (Lioubov et les siens), voilà le nœud de l’intrigue.
La cerisaie/ La Cerisaie est là devant nous, immense plateau nu au plancher neuf, traversé par les rails du mouvement de l’arrivée au départ à la gare, des personnages. Lustres de la lumière du théâtre ou fleurs blanches du printemps froid de l’aube de l’acte I, qui vont et viennent, se balancent dans l’air, travelling d’un petit orchestre de bal. Y Marcher, courir, se croiser selon une juste chorégraphie. Et le vent qui souffle.
La Cerisaie, la terre russe, celle des nouveaux maîtres ou peut-être le théâtre lui-même. Pas de décor, de reconstitution vériste d’un domaine, d’une riche propriété. Des chaises numérotées, des chaises de théâtre qui regardent en direction des spectateurs assis.
La Cerisaie, c’est aussi se regarder. Les comédiens, après avoir parlé, « dit » leur texte vont s’asseoir dans un coin, au fond du plateau et observer les autres. Comédiens-spectateurs, tour à tour.
La mise en scène commence avant la prise de parole, le début du spectacle puisque le public ne fait pas encore silence, par l’installation d’Adama Diop en Lopakhine sur l’une de ces chaises, en imperméable moderne et de la servante Douniacha (Suzanne Aubert) qui s’affaire. L’entrée en scène des personnages est l’arrivée d’une troupe, côté cour.
A la fin de l’acte IV, ils reviendront, dans cette pénombre, au même endroit, faisant corps, avant de sortir du champ dramatique. Le vieux domestique, Firs reste seul ; lui seul entre dans la vérité de la mort tandis que tous les autres croient en un monde nouveau, à des recommencements plus ou moins illusoires, ceux que redit la chanson : ça va changer !
Les chaises ne cessent de se déplacer, d’être empilées, jetées, d’ être enfin mises de côté à la fin du spectacle comme s’il fallait vider le plateau, faire table rase du monde ancien russe, d’avant La révolution de 1905 mais aussi de la représentation. Parce que le théâtre recommencera le lendemain puis ailleurs.
La cerisaie dont on abat les arbres, qui deviendra une terre pour les « estivants », est aussi un adieu au théâtre pour Tchekhov qui est en train de mourir de la tuberculose.
Ce qui est à l’oeuvre, c’est bien un adieu à l’enfance : Lioubov ne cesse d’évoquer la sienne auprès de sa mère . Lopakhine rappelle qu’il fut le fils d’un moujik (pleure pas petit moujik !). Isabelle Huppert est une Lioubov, femme-enfant, sautillante, railleuse et méprisante comme peut l’être une aristocrate mais elle est aussi une mère qui pleure l’enfance morte de son jeune fils Gricha, qui a péri noyé. Cette mort dont elle ne peut se consoler et qui a provoqué son départ en Europe, à Paris.
Les hommes ont vieilli : Gaiev le frère de Lioubov a 51 ans, l’éternel étudiant Trofimov perd déjà ses cheveux, Firs est bien mal en point…
Ainsi, une nouvelle mise en scène, celle de Tiago Rodrigues, nommé nouveau directeur du Festival au moment même où se joue « sa » Cerisaie, une nouvelle traduction du texte russe d’André Markowicz et de Françoise Morvan portent-elles ce mouvement universel des fins et des renaissances théâtrales comme de celle de notre existence passagère.
marie du crest
La Cerisaie
Texte Anton Tchekhov
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Traduction en anglais pour le surtitrage Panthéa
Mise en scène Tiago Rodrigues
Distribution
Avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Cairaty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence
Et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens)
Collaboration artistique Magda Bizarro
Scénographie Fernando Ribeiro
Lumière Nuno Meira
Costumes José António Tenente
Maquillage, coiffure Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Musique Hélder Goncalves (composition), Tiago Rodrigues (paroles)
Son Pedro Costa
Assistanat à la mise en scène Ilyas Mettioui
Production
Production Festival d’Avignon
Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Teatro Nacional D. Maria II , Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Comédie de Genève, La Coursive Scène nationale de la Rochelle, Wiener Festwochen, Comédie de Clermont Ferrand, National Taichung Theater (Taïwan), Teatro di Napoli – Teatro Nazionale, Fondazione Campania Dei Festival – Compania Teatro Festival, Théâtre de Liège, Holland Festival
Avec le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian et Spedidam pour la 75e édition du Festival d’Avignon
Construction décors Ateliers du Festival d’Avignon
Confections costumes Atelier du TNP de Villeurbanne
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre Populaire
Residences La FabricA du Festival d’Avignon, Odéon — Théâtre de l’Europe
En partenariat avec France Médias Monde