Quand sévissait l’intolérance protestante
Johannes Van der Beeck n’est pas un personnage de fiction.
Si Colin Thibert comble quelques lacunes historiques dans le parcours de ce peintre, il fonde son récit sur des recherches approfondies.
Parce que Charles Ier d’Angleterre veut constituer la plus belle collection de peintures, John Seymour Brigby, aux ordres de Sir Dudley Carleton, l’ex-ambassadeur de sa Majesté aux Provinces-Unis, écume le pays. Le roi appréciant également les estampes licencieuses, il se procure des gravures d’un réalisme exceptionnel signées d’un V.d.B.
Brigby entend parler d’un peintre de Haarlem qui surpasse tous ses rivaux bien qu’il flotte autour de cette personne une aura de scandale. Sur place, le correspondant de Brigby se ferme au nom du peintre et finit par lui livrer celui de Jeronimus Cornelisz, un apothicaire qui fournit huiles et pigments. Lorsqu’il peut enfin le rencontrer, le visage du peintre lui paraît familier. Il ressemble au satyre lutinant, avec réalisme, une jolie fille sur une des estampes ayant motivé son voyage. Torrentius est aussi le sulfureux V.d.B., le vrai nom de Johannes Van der Beeck. Brigby lui commande une nature morte pour Charles Ier.
Mais Haarlem est sous la coupe des prédicants. Torrentius, malgré les mises en garde de Cornelicz, est devenue la bête noire de Velsaert, le nouveau bailli, un fanatique de la vertu telle que ce rigide prédicant la conçoit. Il tisse sa toile pour abattre ce peintre débauché. Il collecte les plaintes, recueille des témoignages allant jusqu’à les susciter, les construire. Il n’hésite pas à acheter celui de l’assistant du peintre qui connaît tout ce que fait, tout ce que dit son maître.
Et Johannes, provocateur, noceur invétéré et fornicateur insatiable tombe dans les rets de cette inquisition protestante…
L’auteur a approché le personnage par le biais de Jeronimus Cornelisz, qui s’est illustré sur le Batavia où il a participé activement à une mutinerie qui a amené à un naufrage et une abominable tuerie. Mais ceci est une autre histoire bien aussi mouvementée que celle de Torrentius. Celui-ci était bien le peintre licencieux tel qu’il est décrit et il subit les foudres d’un inquisiteur qui ne pense pas uniquement à punir un mécréant, mais espère obtenir un poste plus rémunérateur que celui de bailli à Haarlem.
Colin Thibert entremêle avec bonheur une réalité historique et une approche romanesque pour construire un récit attractif et d’une grande richesse tant littéraire, sociétale que picturale. Il décrit le quotidien d’une époque autour d’une belle galerie de personnages allant du roi d’Angleterre aux petites gens des Provinces-Unis.
Érudit, passionnant, avec Torrentius, Colin Thibert signe un magnifique document sur l’existence d’un personnage, sur son parcours, explicitant pourquoi il ne subsiste qu’une seule œuvre de ce peintre.
serge perraud
Colin Thibert, Torrentius, J’Ai lu n° 12 840, coll. “Romans historiques”, février 2021, 160 p. – 7,10 €.