Une pandémie comme nous n’en avons jamais connue
MO-NU-MEN-TAL ! Il s’agit du seul adjectif à me venir en tête pour qualifier ce roman. Pas parce qu’il compte près de 1170 pages mais parce qu’il a été, ces derniers mois, la seule lecture que je n’arrivais pas à lâcher. Mon papier ne sera donc pas une simple chronique mais bel et bien une ovation. Evidemment, derrière un tel enthousiasme (nécessairement subjectif) se cache un auteur qui a su écrire très exactement ce que j’adore lire.
Et comme toutes les fois où un ouvrage vous transporte (ou vous rebute complètement), il est difficile d’en faire la chronique. Pas où commencer ? Quels mots choisir pour traduire ce qu’il vous a inspiré ? Un bref résumé s’impose mais, soyons clairs, il est impossible de condenser en quelques phrases la richesse du roman et l’imagination de l’auteur.
Sans véritables dénominateurs communs, des hommes et des femmes, dont le nombre ne cesse d’augmenter, sont frappés par une forme étrange de somnambulisme qui les pousse à marcher sans s’arrêter et sans que rien ne puisse les stopper (à moins de les contraindre mais, alors, ils explosent) vers une destination inconnue. Suivi par leurs familles, ils vont traverser une bonne partie des Etats-Unis et susciter l’inquiétude de la population qui les voit, tantôt comme des anges, tantôt comme des démons soit, encore, comme des terroristes aux mains de forces ennemies.
La science, la politique et la religion s’en mêlent, avec leur cohorte d’extrémistes toujours disposés au pire. Mais derrière ce phénomène se cache une terrible pandémie (qui n’est pas là où on la pense se trouver) ; une pandémie comme nous n’en avons jamais connue. Désemparés, quelques scientifiques du CDC vont comprendre son ampleur, aidés en cela par une intelligence artificielle hors normes qui va progressivement leur révéler ses conséquences. Elle les poussera à défendre, au péril de leur vie, ces somnambules et leurs suiveurs dans une aventure palpitante qui les mènera à l’orée d’un monde post-apocalyptique.
Et le lecteur de suivre avec avidité les principaux protagonistes de l’intrigue qui offrent autant de point de vue qu’ils sont différents les uns des autres (l’auteur sait parfaitement jouer avec leurs pensées, leurs opinions, leur craintes, leurs sentiments, leurs rivalités), à travers une Amérique (qu’il décrit tout aussi bien) en proie à ses propres tourments et qui se dirige tout droit vers le chaos.
Car ne nous y trompons pas, derrière l’histoire (brillante), Chuck Wendig ouvre une fenêtre lucide et amère sur les extrêmes qui semblent s’emparer de son pays.
La plume est incisive, crue et soutenue à la fois. L’ordonnancement des mots, la construction des phrases, le style (dont le langage empli de grossièretés), et même les « retours à la ligne », vous font lire comme vous pensez, comme vous doutez, comme vous vous interrogez. Le texte vous imprègne et laisse l’histoire et ses personnages s’infiltrer en vous comme si, quelque part, ils ne vous étaient pas complètement étrangers. Tirons d’ailleurs notre chapeau au traducteur (Paul Simon Bouffartigue) qui a su retranscrire avec brio le texte original.
Les personnages sont attachants ou détestables mais ne laissent jamais indifférent. On vit littéralement à leur rythme. L’intrigue est menée de main de maître et ce qui doit être su est révélé au moment le plus opportun pour ne jamais s’ennuyer et « avaler » ce pavé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Les nombreux cliffhangers aiguisent la curiosité. L’envie de savoir va grandissante et ne s’arrête jamais, alimentée par bon nombre de rebondissements qui, petit à petit, mènent à l’effondrement que l’on attend avec impatience. Plus appréciable encore, le point culminant – celui où l’on comprend (presque) tout – est atteint à la moitié de l’ouvrage alors pourtant que la suite est tout aussi saisissante.
Lire Les Somnambules de Chuck Wendig, c’est à la fois lire un excellent « poly » roman et, de par sa construction, regarder une série multigenres tout aussi captivante. On y trouve un soupçon de fantastique, une bonne dose de science-fiction et même, dans une certaine mesure, une rythmique qui n’est pas sans rappeler celle que l’on retrouve dans les polars ; le tout dans un récit passionnant et crédible porté par des personnages bien campés dans un récit alarmant, voire effrayant.
Le passé artistique de l’auteur n’est certainement pas étranger à cette faculté qu’il met au service de son premier ouvrage en solo. Et ce n’est franchement pas pour nous déplaire. Bien au contraire. Ceux qui ont aimé Le Fléau, The Leftovers, Contagion ou qui se sont laissés happés par l’excellente série Person of Interest y trouveront leur compte. Les autres aussi (enfin, peut-être). Tous petits bémols très personnels : la toute fin sombre un instant dans quelque chose de très (trop) classique qui ôte une certaine dimension à l’ouvrage, outre une construction très « marketée » et des relations inter-personnages assez standard.
On attend avec une impatience à peine dissimulée l’adaptation à l’écran (mais, de grâce, une bonne adaptation car ce roman la mérite).
Quant à la suite (en écriture, semblerait-il), espérons qu’elle ne prive pas ce premier opus (qui se suffit à lui-même) de l’impression qu’il laisse jusqu’au dernier mot.
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darren bryte
Chuck Wendig, Les Somnambules, éditions Sonatine, mars 2021, 1165 p. – 25,00 €.