Une première enquête hors-normes !
C’est parce qu’on lui demande souvent d’où vient le commandant Franck Sharko, un de ses personnages emblématiques, que Franck Thilliez a décidé de raconter sa première enquête à la Crim.
C’est en décembre 1991 que, tout juste sorti de l’école des inspecteurs, il est intégré, comme n° 6, dans l’équipe de Thierry Brossard, dit Titi. Il a la trentaine et a déjà passé six ans dans la police dans le Nord de la France. On lui confie une enquête inaboutie depuis quelques années, une série de trois meurtres de femmes dans le Sud parisien. Il doit, à partir des archives, apporter un regard neuf sur l’affaire.
Philippe Vasquez reçoit une lettre et Les Fleurs du mal. Il doit penser à un prénom féminin, prénom qu’il doit retrouver à la page 122 du recueil de poèmes. Il pense Delphine et trouve… Delphine. Une seconde missive l’enjoint à se rendre à une certaine adresse pour découvrir un nouveau courrier. La photo qu’il sort de l’enveloppe portant le nom de Delphine Escrimieu le terrifie. Il se rend Quai des Orfèvres où il rencontre Franck qui sort des archives. Devant les propos extravagants de Vasquez, il décide d’aller, avec lui, à l’adresse indiquée au dos de cette photo, au mépris de la règle qui veut que l’affaire soit traitée par l’équipe d’astreinte.
Sur place, dans un lieu isolé, ils découvrent l’horreur. Le groupe de Titi investit les lieux. Ils traquent des indices laissés par un criminel qui mène le jeu, un jeu abominable ayant ses racines dans un passé monstrueux…
Dans ce roman, Franck Thilliez retient 1991 car il apprécie les palindromes et qu’il avait envie de faire revivre le début des années 1990. La technologie et les avancées scientifiques qui interviennent dans les enquêtes d’aujourd’hui étaient balbutiantes. Le Minitel était encore roi, comme l’échange des fax. Les cabines téléphoniques restaient la façon la plus répandue de communiquer à distance.
Cette époque offrait, pour les enquêteurs, un peu plus de liberté, moins de contraintes procédurales. Ils fonctionnaient plus à l’intuition. En matière d’affaire criminelle, Guy Georges venait de terrifier l’Est parisien.
Le jeune inspecteur va mener de pair deux enquêtes, une presque en solo concernant les meurtres de ces trois jeunes femmes et, intégré dans l’équipe, l’autre qui va mobiliser les policiers au-delà de l’horreur, à suivre les traces qu’un meurtrier laisse volontairement derrière lui. Le romancier intègre un nombre considérable de données de natures fort diverses allant des expérimentations médicales à la magie, de Houdini l’escapologiste à la cryptophasie.
Il met en scène des théories thérapeutiques des années 1960 et les traumatismes qu’elles ont générés. Il utilise une documentation exceptionnelle dont on mesure la richesse au détour d’un paragraphe, d’un simple élément de phrase comme lorsqu’il relate que l’homosexualité n’a été supprimée de la liste internationale des maladies mentales de l’OMS qu’en 1990. Il évoque de manière subtile l’affaire de Bruay-en-Artois, une émission de Bernard Pivot qui vient de faire scandale…
L’auteur ne fait pas dans l’insipide quant aux descriptions de meurtres et pistes laissées par l’assassin et donne une tension redoutable à son récit, un récit où les fausses pistes sont foison tant l’intrigue est retorse et construite avec une maestria peu commune.
Avec 1991, Franck Thilliez ne déçoit pas les lecteurs qu’il a habitués à des romans exceptionnels. Celui-ci se retrouve au-dessus du lot.
serge perraud
Franck Thilliez, 1991 – La première enquête de Sharko, fleuve noir, coll. “Policier & Thriller”, mai 2021, 504 p. — 22,90 €.