Chantal Dupuy-Dunier a osé l’aventure (réussie) de la fiction à 71 ans. Mais elle avait derrière elle un sacré background poétique qui nourrit sa fiction de la maturité. La connaissant, elle dirait sans doute que cette maturité est déjà bien entamée. Mais son roman garde une alacrité contre la mort que l’on se donne ou qui — en cas d’oubli — nous est donnée.
Et si dans son roman existent bien des disparus, le songe exige l’appel de bien des nuits d’été face à la folie des hommes. Le tout dans un monde baroque que la langue métamorphose en des jeux subtils et drôles du dedans et du dehors. Si les prix littéraires étaient justes, ce roman mériterait un des plus grands.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La satisfaction de constater que je ne suis pas morte pendant la nuit. Cette pensée est suffisamment motrice pour que je pose un pied par terre, puis deux, en me disant qu’il ne faut pas trop perdre de temps pour profiter de la journée.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Certains se sont réalisés, comme devenir écrivaine. D’autres non bien sûr, la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au long fleuve tranquille.
D’où venez-vous ?
Je suis née en Arles. Cela permet d’entendre « néant » dès le départ, il n’y a aucune tromperie sur l’issue de l’aventure !
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
La somme des écrits qui m’ont précédée dans toutes les civilisations. L’héritage culturel immense, fascinant, accumulé dans tous les pays pendant les siècles passés.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un carré de bon chocolat noir.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Peut-être publier un premier roman à 71 ans, après une trentaine d’ouvrages de poésie.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Celle de mon premier chat, Bayard, tué d’un coup de fusil pour avoir attrapé des colombes dans une volière.
Et votre première lecture ?
Mon premier livre sans images : «L’histoire d’une toute petite fille » Elle s’appelait Mili-Mali-Malou. Avant, il y avait eu des albums du Père Castor et des contes.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je n’en écoute pas autant que je le voudrais, prise surtout par l’écriture et la lecture. J’aime des choses très diverses : du jazz, les chansons à texte (Brassens, Guidoni, Barbara, Brel, Juliette…), les vieilles chansons françaises, des chants révolutionnaires, etc.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« La Peste » de Camus. Cela n’a rien à voir avec l’actuelle pandémie ; je le relis environ tous les dix ans.
Quel film vous fait pleurer ?
« La Strada » de Fellini, en particulier. Giulietta Masina est si émouvante, Anthony Quinn a une telle présence.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Il paraît que c’est moi.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
En règle générale, j’ose toujours.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Cronce, un minuscule village de la Haute-Loire où j’ai vécu pendant onze ans avec mon mari, écrivain lui aussi. Ce lieu réel est devenu mythique pour nous. Il m’a déjà inspiré deux recueils de poésie « Creusement de Cronce » (Voix d’encre) et « Pluie et neige sur Cronce Miracle »(Les Lieux-Dits). La trilogie sera close avec « Cronce en corps ». Il apparaît également dans « Éphéméride » (Flammarion). Il tient aussi une place importante dans « La langue du pic vert », mon premier roman (La Déviation).
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Surtout des poètes, classiques et contemporains. Je lis essentiellement de la poésie : Baudelaire, Roger Gilbert-Lecomte, Renée Vivien, Gabrielle Althen et tant d’autres que j’admire. Mais j’aime aussi, sans oser dire que je me sens proche d’eux car ils ont à mes yeux un talent inatteignable : des romanciers comme Herman Melville, Romain Gary, Yves Navarre, Patrick Süskind, Gabriel Garcia Márquez, Colette, Gabrielle Wittkop.
Mes peintres préférés, très différents : Van Gogh et Dali.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un petit séjour dans une auberge de campagne ou de montagne, un ballotin de très bons chocolats noirs et un bouquet de roses jaunes.
Que défendez-vous ?
La justice sociale, les Droits de l’homme, la paix.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
À dire vrai : pas grand-chose. J’ai une maîtrise de psychologie et ai fait une psychanalyse, mais Lacan est resté obscur pour moi. Je préfère Freud, à l’écriture si vivante.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’adore ! Le genre de phrase que j’aurais aimé écrire.
Et si le cœur vous en dit celle de Vialatte : “L’homme n’est que poussière c’est dire l’importance du plumeau” ?
J’adore aussi ! Et Vialatte en Auvergne, où j’habite, est, à juste titre, aussi important que le plumeau.
J’aime l’humour décalé, l’humour à tous les degrés, l’humour noir, l’autodérision. Pour moi, c’est une philosophie. Je ne conçois pas une vie sans humour, sans rire. C’est ce qui permet à l’homme de prendre la distance nécessaire, salvatrice, avec tout ce qui ne va pas dans son existence.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Êtes-vous vaccinée ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 14 juillet 2021.