Laurent Quinton, Deux fils — Pinocchio (Walt Disney, 1940) suivi de Frankenstein (Universal, 1931)

Quand les deux vont de père

Si une petite dizaine d’années à peine sépare ces deux oeuvres ciné­ma­to­gra­phiques, Pinoc­chio et Fran­ken­stein, le fond même de leur pro­pos ten­drait à les oppo­ser radi­ca­le­ment : quoi de plus hété­ro­gènes en appa­rence qu’une marion­nette et un savant fou ?
Laurent Quin­ton pro­pose donc une démarche plus que sti­mu­lante en ten­tant de les relier à sa façon par le biais de la thé­ma­tique de la filia­tion et du rap­port tout psy­cha­na­ly­tique au Père (et à sa loi).

Le pro­pos de ce court ouvrage, qui met en exergue grâce à cer­taines astuces typo­gra­phiques, des séquences dia­lo­guées des deux oeuvres, vise ainsi à expli­ci­ter en quoi le Pinoc­chio de Walt Dis­ney (1940) et le Fran­ken­stein de James Whale, (1931) incarnent l’histoire de deux fils qui doivent apprendre, à leur corps/esprit défen­dant, à com­po­ser avec la puis­sance du Désir pater­nel.
Or, si les pages dédiées à la méta­mor­phose d’un bout de bois en “véri­table petit gar­çon” implantent (notam­ment par son inter­ro­ga­tion sur le rôle de la parole et de la conscience morale face à la Fée bleue) des jalons concep­tuels qui méritent l’attention, on n’en dira pas autant, hélas!, de l’analyse réser­vée au savant inquiet et athée dont la liberté se verra comme fata­le­ment absor­bée par son lignage aristocratique.

La cause en est que le sta­tut d’analyse fil­mique — l’auteur semble se pré­va­loir lui-même de cet écart assumé d’ailleurs — ne fonc­tionne pas selon le même para­digme dans les deux cas : lorsque Laurent Quin­ton se penche sur Pinoc­chio, il en extrait des élé­ments objec­tifs qu’il sou­met ensuite à son inter­pré­ta­tion (afin de sus­ci­ter la nôtre — comme il le fait au quo­ti­dien devant les élèves des classes dont il a la noble charge) ; en revanche, lorsqu’il s’appuie sur Fran­ken­stein, il choi­sit en toute connais­sance de cause d’actionner le levier du récit auto­bio­gra­phique cor­rélé à une mise en abyme — et ce pro­cédé fonc­tionne net­te­ment moins bien.

L’inter­pré­ta­tion des séquences sou­mise se fait alors plus flot­tante, moins cam­pée comme c’est le cas dans Pinoc­chio sur des concepts pro­pre­ment phi­lo­so­phiques à expli­ci­ter (l’identité, l’éducation, l’autorité, la parole, la séduc­tion, la morale), ce qui induit chez le lec­teur un inté­rêt moindre envers les pro­po­si­tion enga­gées.
A ce titre, l’entrée en matière de Fran­ken­stein vu par l’auteur tarde vrai­ment à scru­ter le sup­port fil­mique et aurait mérité, il nous semble, une reprise édi­to­riale plus atta­chée par exemple aux ques­tion de l’idiotie, de la régres­sion et du sacri­fice com­munes aux deux his­toires. Ou encore, une confron­ta­tion directe de deux séquences, plans ou extraits emprun­tés aux deux sup­ports choisis.

L’essai prend de fait à ce moment-là davan­tage l’aspect de deux fils de trame anti­no­miques que celui du lien filial et fami­lial qu’il s’agissait pour­tant de mettre au jour.
Pinoc­chio et Fran­ken­stein vont certes tou­jours tous deux “de père” mais, à notre grand regret,  ne consti­tuent plus la paire escomptée.

fre­de­ric grolleau

Laurent Quin­ton, Deux fils — Pinoc­chio (Walt Dis­ney, 1940) suivi de Fran­ken­stein (Uni­ver­sal, 1931), éd. Pont­cerq, avril 2021, 120 p. — 10,00 €.

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