Camille Loivier crée un livre précieux sur le jardin : un jardin à la fin de l’hiver, l’autre est celui de sa mère. Le premier — vu la saison — semble sans attrait car décharné et grisâtre. Les feuilles d’automne échouées sur la terre s’y décomposent pour faire corps avec elle.
La narratrice y est attirée : “Tu aimerais rentrer dans la terre” et ce qu’il y a en elle d’obscur et d’opaque. Cela n’est en rien un appel à la mort mais pour que le corps rejoigne la vie de gestation d’avant la naissance.
Le jeu du retrait en la terre est aussi un moyen de retrouver un rapport avec les plantes. Moins dans un sentiment extatique de la beauté que pour rappeler qu’on n’a “pas besoin du regard / on peut passer inaperçue / et continuer à vivre”. Diverses plantes sont alors convoquées pour illustrer la vie des êtres par la nature des plantes : le pachira, le camélia, le séquoia, l’ancolie dont le nom évoque autant le rêve que la dépression.
Il y a bien sûr aussi celle qui donne le titre au livre : la cardamine, une des plus modestes d’entre elles et qui meurt dès qu’elle est coupée.
Les jardins ici sont multiples, ramènent aux origines (sans toutefois évoquer le jardin d’Eden). Ici, ce jardin est aussi ouvert que clos dans ses différentes essences arborescentes.
Les ronciers ne sont pas oubliés pour faire du lieu une sorte de place impénétrable qui rappelle à l’auteure une enfance où la mère protégeait des agressions extérieures.
Mais, depuis la mort de sa génitrice, la narratrice doit “recommencer à être seule” même si cet état naît d’un vide que les autres ne font que souligner. Si bien que le moyen d’exister sereinement est de vivre comme les plantes.
A savoir, en entrant dans la terre matrice comme s’il s’agissait de disparaître en soi.
Camille Loivier crée à ce titre un monde particulier, profond. Nulle fuite vers l’exotisme — sans pour autant tomber dans la naturalisme. Le livre devient celui de la différence d’une individualité poreuse et forte dont l’esprit grandit non dans la préhension dispersive mais par la réflexion.
Celle que possède la nature face aux personnalités humaines souvent primesautières et vaines.
jean-paul gavard-perret
Camille Loivier, Cardamine, Tarabuste, 2021, 76 p.
Un livre heureux par la simple résilience des fleurs . Le titre ne mine rien. Dame Loivier , en naturelle philosophie , contemple le jardin des vies .