Un chant d’amour pour le Paris qui fut
On ignore l’âge que peut avoir Jonathan Siksou, mais fût-il jeune, c’est indubitablement un grand nostalgique, et de longue date.
Tout en aimant la capitale telle quelle (avec un certain nombre de réserves que le lecteur pourrait partager), il se propose, à travers ce livre, d’“apposer“ le Paris d’autrefois sur l’actuel, en utilisant maintes chroniques sur l’histoire et les lieux de la ville.
Cette entreprise est des plus appréciables, car l’érudition de l’auteur ne paraît jamais pesante : il a su choisir tantôt des informations frappantes, notamment sur Julien, proclamé Empereur à Paris (p. 27) ou sur Dante qui “choisit d’aller loger dans une hôtellerie ouverte sur la Bièvre, lorsqu’il vint enseigner à l’Université“ (p. 36), ou des précisions surprenantes, telle l’adresse exacte où Jeanne d’Arc fut blessée, qui ne correspond pas à l’endroit de la plaque commémorative (p. 148), quand il n’a pas préféré nous faire visiter des monument disparus depuis des lustres, ou toujours existants mais méconnus, tel l’invraisemblable cimetière de chiens évoqué aux pages 126–128. (Les épitaphes canines vous feront bien rire.)
Ce n’est pas pour autant que l’ouvrage soit voué à divertir ; non, il a une dominante mélancolique, qui touche par endroits au poignant grâce à la belle écriture de Siksou et à son art du montage littéraire.
Sur ce dernier plan, on savoure les extraits de chansons dont l’auteur a parsemé son récit, ou les détails autobiographiques, rares et d’autant plus mémorables, qui surgissent à l’improviste ici ou là.
L’amour de Paris ne porte jamais l’écrivain à camoufler les défauts de la ville, qu’ils soient passés ou actuels ; selon la même logique, il ne nous cache pas les horreurs de son histoire, dont des massacres et des supplices qui nous obligent à mettre en garde les lecteurs sensibles : mieux vaut éviter de parcourir le chapitre 2 autrement qu’en sautant des pages.
En revanche, chacun trouvera à s’instruire agréablement et utilement au sujet des changements de la mode parisienne vers la fin du XVIIIe siècle (p. 225), qui peuvent à la fois vous faire mesurer la différence d’avec les tenues contemporaines, et vous faire relever certains traits persistants de la coquetterie nationale.
La tournure d’esprit de l’auteur se révèle à travers ces lignes : “L’heure qu’affiche mon réveil digital […] n’est pour moi pas le temps qui passe mais celui qui a passé. Je peux ainsi me dire, après une sieste : j’ai dormi de l’assassinat d’Henri IV à la naissance de Louis XV ; ou encore, j’ai rendez-vous pour déjeuner à la bataille de Bouvines […]. Je ne vois que des dates, malgré le clignotement perpétuel des deux petits points entre les heures et les minutes.“ (p. 240).
C’est sans doute ce qui s’appelle être un historien né. Il n’est pas indispensable d’être son âme sœur pour se régaler à le lire.
agathe de lastyns
Jonathan Siksou, Capitale, éd. du Cerf, août 2021, 296 p. – 20,00 €.