Journal d’un fou diront certains, “journal d’un journal” écrit Cauda qui, et pour une fois, plutôt que de se cacher derrière des masques devient le vibrant auteur de lui-même en dépit d’un état naissant d’un genre particulier.
En effet, le killer nous dit arriver au bout de sa vie et de son enfer. Il est vrai que l’auteur a payé de sa personne : malade, ouvert et recousu de partout ( valve cardiaque, prothèse de hanche, ablation de la vésicule, emphysème, lichen buccal, diabète), le voici dans notre monde de pandémie livré au monde dans défenses immunitaires.
Apparemment, il renonce avant l’ultime K.O. Il va même jusqu’à imaginer son enterrement où il pense qu’il serait seul à suivre son cercueil. Pour autant, l’auteur à beau chasser son naturel “mystificateur” et mâle séant, il revient au galop, reprend racine dans des rêves où il épouse une héroïne de roman : la Juliette de Sade, celle des Prospérités du vice qui se dissout en une belle Eloïse par l’Abelard dont le label d’art reste orgiaque.
Cela peut sembler étrange puisque cela se produit 10 ans après son mariage.… Les fameux 7 ans classiques des unions sont donc dépassés. Mais des imbrications ont lieu chez ce killer passionné du jazz et de son nectar, comme de la folle du logis (entendez non l’épouse mais l’imagination). Néanmoins, la fantaisie et le fantasme prennent le pouvoir et tiennent lieu d’existence : “les mots donnent soif, Kiravi mon amour” même si pour l’auteur son Eloïse reste “comme les étoiles qui enchantent la nuit”.
Et ainsi va la vie au nom du soleil qui, en éclairant le jour, illumine aussi sa route.
Cauda continue à construire le réel par subversion en un imaginaire toujours aussi dégingandé. Il transplante ainsi le réel dans une gestuelle poétique qui incline moins à la déréliction qu’à une déterritorialisation des données immédiates de la conscience au sein d’une dialectique biscornue. Elle permet de comprendre les strates qui font la vie comme la littérature.
Cet “embarquement pour cirrhose” ne marque pas pour autant l’apothéose d’un vaincu. La vie va encore dans des déboulements à la Sarah Vaughan ou à la Maradona. Ils atomisent à leur manière la mort par ces histoires allégoriques qui puisent avec adresse et en action de disgrâce dans le quotidien comme dans la littérature subversive d’un allumé Tintin en âme homérique.
jean-paul gavard-perret
Jacques Cauda, Jésus kill Juliette Éloïse, éditions Douro, coll. La diagonale de l’écrivain, Paris, 2021 — 15,00 €.
Putain, je suis émue ! Ce texte m’a fait chialer
Merci Jean-Paul ! C’est bien tout moi ce que tu en écris !
Passionnant, intenable, supercréatif Jacques Cauda !