Une enquête originale et passionnante
Dans l’aéroport de Roissy, un crocodile s’échappe de la station animalière de la zone de fret. Il a faim. Il croque dans une viande tiède qui ne se débat pas et il poursuit son chemin, avant d’être abattu.
Alors qu’il s’occupe de Robin, le fils de Valentine qui habite l’étage en dessous, Yann Gray entend à la radio l’annonce de la découverte d’un corps dans les sous-sols de Roissy. Sur les lieux, en charge de l’enquête, Yann regarde le cadavre du crocodile avant celui d’un homme à qui il manque un bras. Le médecin légiste diagnostique un assassinat avant la perte du membre. Mais la question est de comprendre ce que cet homme faisait là, sans bagages, sans billet. Les recherches font apparaître qu’il est venu à pied, qu’il n’attendait aucun passager.
Et Yann Gray n’est pas au bout de surprises en plongeant dans le quotidien de l’aéroport, une véritable ville dans la ville. Comment retrouver un assassin quand le défunt est un inconnu mais que les suspects ne manquent pas…
Ce roman remet en scène Yann Gray, ce policier atypique rencontré dans Pâle copycat (l’aube –2020). L’auteur lui donne un profil bien particulier en le faisant supporter une hyperosmie à la suite d’une blessure par balle à la tête. Depuis, avec son sens de l’odorat exacerbé, il perçoit toutes les senteurs, mêmes les plus ténues. Aussi, il est fréquemment agressé par des fragrances fortes, des effluves lourds.
Il partage sa vie entre Valentine, sa maîtresse aux rapports tendres bien particuliers, son fils Robin et la mère de celle-ci, Mamounette une férue, entre autres, de mots croisés. Cette passion donne des échanges via les réseaux sociaux ou par Robin interposé sur les définitions qui lui posent problème. Ainsi, dès le début, elle sèche sur Ligne en dérangement en 9 lettres. La propre mère de Yann, en maison spécialisée, ne le reconnaît pas et le prend pour son époux.
L’enquête l’amène à fréquenter nombre de personnages représentatifs de ceux qui travaillent ou qui hantent ces lieux, leurs particularités, leurs spécificités et fait découvrir la face cachée de Roissy, le fonctionnement de cet aéroport, l’organisation des services. Il intègre dans son récit Alfred, de son vrai nom Mehran Karimi Nessari, un iranien expulsé de son pays et déchu de sa nationalité, refoulé de partout et bloqué dans la zone internationale. Il décrit, par petites touches, la vie de cet homme qui a passé dix-huit ans dans cette zone de transit.
Il présente également l’activité des Plane Spotters, ces passionnés d’avions qui rodent aux alentours des aéroports. L’auteur évoque également les événements drôles qui peuvent survenir mais aussi les faits tragiques comme ces passagers clandestins cachés dans les trains d’atterrissage et dont le corps congelé tombe lorsque les roues se déploient. Il cite les procédures des mairies pour enterrer ces corps tombés du ciel.
Parallèlement, il mobilise son enquêteur et son nez exceptionnel pour authentifier la tête d’Henri IV à partir d’une opération authentique menée par un journaliste. Magnifiquement documenté, ce récit humoristique, subtil, avec un style enlevé, une écriture efficace, dévoile un univers que l’on traverse préoccupé par les horaires et la porte d’embarquement.
Yann Hugues aborde ainsi dans son livre nombre de sujets et compose une intrigue délicieuse pour un vrai régal de lecture.
serge perraud
Yves Hugues, Piste au noir, Éditions de l’aube, coll. Mikros Noir, mai 2021, 256 p. – 12,00 €.