Van Rijn, la gloire des Pays-Bas, est mondialement connu comme Rembrandt, son prénom. Deux femmes trouvent place près de son trône, Saskia, sa première épouse morte à trente ans, et Hendrickje, sa seconde épouse. Geertje, qui a partagé sa vie pendant plus de six ans, est quasiment oubliée. Si elle apparaît, c’est comme une arriviste, une mégère vindicative faisant tout pour escroquer le pauvre homme qui n’a eu d’autres choix que la faire enfermer.
Or, ce portrait, qui n’a pour mérite que de ne pas faire d’ombre au génie, se trouve démenti par de nouveaux éléments retrouvés ces dernières années. Ces données inédites, si elles ne modifient pas le jugement des exégèses de Rembrandt, interpellent. C’est pourquoi Simone van der Vlugt, se basant sur les faits, rend justice à cette femme.
En introduction, la romancière relate l’arrestation de Geertje, condamnée à douze ans de prison, le 5 juillet 1650.
Parce qu’elle ne veut plus nettoyer du poisson à Edam, où elle est née, Geertje Dircx se présente pour un emploi de servante dans une auberge à Hoorn. Elle a vingt-deux ans. Elle rencontre Abraham, âgé de trente ans, qui est trompette dans la marine marchande. Il lance des signaux sonores pour avertir l’équipage des manœuvres à effectuer. Elle s’éprend de lui et l’épouse le 26 novembre 1634. Elle sera veuve moins d’un an plus tard, Abraham ayant été emporté par une terrible tempête.
Alors qu’elle traîne sa douleur le long d’un quai, elle ne peut sauver de la noyade un très jeune garçon malgré une tentative intrépide, mais sauve sa sœur. Les parents, de riches marchands de bois, reconnaissants, l’embauchent pour s’occuper des huit enfants restants. Elle passe des années heureuses dans cette famille jusqu’au moment où de mauvaises affaires les contraignent à se passer de ses services.
Après quelques temps chez son jeune frère, elle apprend que l’épouse d’un peintre d’Amsterdam recherche une bonne d’enfants car elle est trop souffrante pour s’occuper de son fils de six mois. Le 5 mars 1642, elle est embauchée pour s’occuper de Titus et de Saskia, sa mère tuberculeuse. Très vite sa santé se dégrade et elle meurt le 14 juin 1642. Outre les soins à Titus, Geertje s’investit de plus en plus dans les soins du foyer et dans les affaires du peintre. C’est lorsqu’elle est surprise par Rembrandt, avec les habits de Saskia qu’elle avait essayés, et qu’il en fait sa maîtresse. Il la considère comme sa femme, lui offre les bijoux de son épouse. La situation dure ainsi plusieurs années jusqu’à l’embauche d’une jeune servante, Hendrickje Stoffels, en remplacement de Neeltje partie se marier.
Très vite amoureux de la demoiselle, il signifie son congé à Geertje en juin 1648. Il lui demande de restituer les bijoux de Saskia contre une rente mensuelle de cinq florins, une somme bien insuffisante pour vivre. Elle a trente-huit, un âge presque canonique pour une femme à cette époque.
Elle refuse et fait valoir ses droits. Mais Rembrandt…
Avec la vie de Geertje, c’est le quotidien, tant dans les milieux aisés que dans les populations pauvres, que la romancière expose avec précision et attention. Elle détaille le parcours de cette femme dans les Pays-Bas du XVIIe siècle. Elle explicite le travail dans les auberges, les organisations familiales, les nombreuses naissances et leurs conséquences sur la santé des femmes. Elle donne le diagnostic hallucinant du médecin qui soigne Saskia. Elle explicite les rapports du peintre avec son environnement, son amour pour son épouse, ses relations avec ses clients, sa façon de travailler, ses liens avec sa maîtresse.
La romancière décrit une certaine liberté de pensée de cet homme par rapport à l’Église réformée qui n’admet pas le concubinage. Elle expose les tractations entre Rembrandt et sa maîtresse, les tentatives de récupération des bijoux, puis les divers arbitrages jusqu’au jugement aussi sommaire que définitif, un texte qui l’accuse d’une vie dissolue, de prostitution par des témoignages achetés. La condamnation à douze ans de prison est une très lourde peine. On peut être un génie dans un domaine et se révéler une parfaite ordure dans un autre.
Dans La Maîtresse du peintre, Simone van der Vlugt retranscrit de belle manière des situations appuyées sur des faits, des descriptions historiques érudites et signe une reconstitution d’une haute qualité. Elle raconte avec un art du récit avéré et, avec une écriture fluide, donne un magnifique portrait de cette femme.
serge perraud
Simone van der Vlugt, La Maîtresse du peintre (Schilderslief), traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Guillaume Deneufbourg, Éditions 10/18, n° 5671, mai 2021, 312 p. – 7,80 €.