Pour tous ceux qui s’intéressent à la culture russe et au cinéma d’art et d’essai
Le premier film d’Alexandre Askoldov, réalisé en 1967, fut non pas le début, mais la fin de sa carrière : La Commissaire, interdit de sortie sur les écrans jusqu’en 1987, valut à son réalisateur surdoué l’interdiction de travailler dans le cinéma soviétique, et bien d’autres épreuves (qu’il résume avec dignité dans un entretien de 40 minutes faisant partie des bonus de ce DVD). Curieusement, la notice qui figure sur la jaquette explique la décision des censeurs communistes par l’idée que le film aurait été “considéré comme pro-sioniste“ ; peut-être était-ce là le prétexte officiel de son interdiction, mais en réalité, La Commissaire réunit toutes les qualités – dans son contenu comme sur le plan formel – que les critères de jugement en vigueur sous le régime ne pouvaient surtout pas tolérer.
Située à l’époque de la guerre civile, son action est centrée sur la camarade Vavilova, commissaire politique dans l’Armée rouge, qui se retrouve obligée de quitter provisoirement ses fonctions pour cause de… grossesse avancée. La seule manière dont Askoldov caractérise cette protagoniste au début du film aurait suffi à lui valoir les foudres des censeurs : au lieu d’en donner une image positive, il la représente comme une matrone féroce, plus impitoyable que les hommes qui l’entourent. Toutefois, installée chez une famille de Juifs pauvres en attendant d’accoucher et de retourner au combat, la commissaire commence à s’humaniser – ce que le spectateur normal trouve souhaitable et rassurant, mais qui n’en tenait pas moins du crime idéologique au pays des Soviets…
L’esthétique du film est tout aussi éloignée que son propos des normes du “réalisme socialiste“ : rappelant tantôt les avant-gardistes des années 1920, tantôt les recherches plastiques des grands cinéastes d’art et d’essai de son époque, le style visuel d’Askoldov nous ravit au degré auquel il devait insupporter les “commissaires“ qui ont détruit dans l’œuf un talent des plus remarquables parmi les réalisateurs russes de sa génération.
Outre l’entretien avec le cinéaste – très instructif et par moments proprement bouleversant -, les compléments nous offrent des interviews des trois interprètes principaux, dont l’intérêt est inégal : Rolan Bykov apparaît comme un homme intelligent tout en cabotinant un peu trop (défaut par ailleurs divertissant) ; Raïssa Nedachkorskaya produit une impression touchant au grotesque ; quant à Nonna Mordyukova (apparemment interviewée dans quelque émission russe remontant aux années 1990), elle nous réserve la surprise de tenir des propos dignes de son héroïne Vavilova, accusant carrément Askoldov d’avoir “renoncé“ à faire du cinéma – les bras nous en tombent. Mais réflexion faite, l’éditeur du DVD n’a pas eu tort de retenir cette archive pour ses bonus : si les propos de Mordyukova tiennent du révulsant, ils permettent au spectateur de se faire une idée concrète de la vigueur des mensonges officiels jusqu’après la perestroïka et jusque parmi les “admirateurs“ d’Askoldov.
Un DVD hautement recommandable à tous ceux qui s’intéressent à la culture russe et au cinéma d’art et d’essai.
agathe de lastyns
Alexandre Askoldov, La Commissaire, DVD, Montparnasse, mars 2013, 1 h. 45 min. (film) et 1 h. 19 min. (suppléments), — 22,99 €.
Je n’ai pas compris le propos de Roland Bykov à 3’15″ juxtaposant les mots antisémitisme et sionisme. Que voulait il dire?