Repeupler le monde par le langage
Dans la décennie 80, Giovannoni publie des suites de fragments (Les mots sont des vêtements endormis et Ce lieu que les pierres regardent). La poésie y est centrale et comme enfermé dans un labyrinthe où les corps cherchent une voie : “Sommes-nous faits / pour n’être que traversés ? // pour n’avoir aucune autre consistance / que celle de nos mouvements ? // Nous sommes à la fois la distance / et le passage”.
Tout paraît en équilibre instable au moment où la réalité “est un visage qui s’effrite, qui s’effondre, miettes de verre brisé.”
Il s’agit néanmoins, par le langage, de repeupler le monde même si écrire peut sembler parler dans le vide. Mais le poème restitue à l’écriture une dimension fondamentalement organique.
Le corps y est donc décrit dans tous ses états, avec toutes ses humeurs qui s’écoulent à partir d’une invisible matrice intérieure pour la magie du peu.
Au coeur de notre “viande” (Artaud), le poème tente une possibilité d’intersubjectivité. L’écriture fait assister au délitement humain comme à celui de l’écriture qui l’épouse. Existe là une puissance de glissement.
La poésie devient la matière singulière qui force le lecteur à se retourner et le renvoie à sa propre angoisse, en un memento mori. Il appelle moins à l’intellect qu’à la sensation vive.
Tourné vers la disparition, Jean-Louis Giovannoni crée toutefois une poésie de l’existence, là où le noeud de l’angoisse n’est jamais qu’un noeud.
jean-paul gavard-perret
Jean-Luc Giovannoni, Le Visage volé : poésies complètes 1981–1991, préface de François Heusbourg, éditions Unes, Nice, 2021, 240 p. — 25,00 €.