Enfin se perdre sciemment
Stanislas Nordey investit une pièce du Pirandello accompli, sûr de son art, peu souvent montée, Se trouver (1932). Il a convaincu Emmanuelle Béart de rejouer pour le théâtre, après Les justes(2010), et de tenir cette fois le rôle principal. Une réussite, même si la pièce n’a pas les toutes richesses qu’on pouvait en attendre.
Enfin se perdre sciemment
Deux acteurs, après avoir posé, assis à la table, au bord du plateau, sollicitent le public de leur regard. Le rideau s’ouvre ensuite sur le hall solennel, architectural, d’une villa. Le ton des personnages est très légèrement surfait ; il leur a été demandé de souligner l’artifice des dialogues. La longue scène d’ouverture est consacrée à la présentation de la “Genzi”, fameuse actrice qui constitue le thème focalisant l’attention.
Après un temps, le propos trouve sa dynamique, avec le développement des paradoxes sur l’art du comédien. Par exemple, si la vérité de la vie est dans la représentation qu’on en donne sur scène, alors il n’y a pas d’autre lieu d’authenticité que le jeu. La démarche de l’acteur procède d’une diffraction de la personnalité qui la révèle autant qu’elle la menace.
Un décor relativement statique, qui sait ménager de beaux effets lors du mouvement de ses masses. Les appariteurs travaillent sur scène, soulignant visiblement l’élaboration scénographique dans un procédé de mise en abyme. Un décorum bien senti, comme l’ornement musical de la pièce. Des écrans que peuvent mouvoir les acteurs, parfois des projections de couleurs, un éclairage subtil qui lui aussi met en exergue la construction dont procède le propos. A terme, un espace qui se rétrécit pour prendre des allures de kaléidoscope.
Au badinage spéculatif de Pirandello, Stanislas Nordey donne une intensité dramatique notable. Des scènes d’intimité exacerbée montrent les personnages aux prises avec ce qu’ils ont de plus propre, qui justement leur échappe. C’est dans la rugosité d’un individu mal dégrossi, peu civil, que l’actrice trouve la révélation, en creux, de sa personnalité.
La représentation est de grande qualité, mais, un peu monolithique, son rythme reste tempéré. Elle est construite comme une focalisation, une fragilisation qui joue le rôle d’un renforcement. Le changement produit par la relation, la consécration qu’obtient l’actrice une fois qu’elle accepte son identité — métamorphoses intérieures — sont retranscrits par les métamorphoses du décor.
Il s’agit d’une curieuse pièce en entonnoir, qui s’achève par l’identification de la réalité avec la fiction, de l’esprit avec la mobilité. Le prisme de la réflexion n’est qu’intérieur ; il ne procède pas du jeu de la société, mais ne se révèle, ici ou là, que dans le rapport à la vérité de soi.
christophe giolito
Se trouver
de Luigi Pirandello
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Emmanuelle Béart, Claire Ingrid Cottanceau, Michel Demierre, Vincent Dissez, Olivier Dupuy (jusqu’au 18 mars), Raoul Fernandez, Marina Keltchewsky, Frédéric Leidgens, Marine de Missolz, Stanislas Nordey (à partir du 19 mars), Véronique Nordey, Julien Polet, Laurent Sauvage (à partir du 19 mars).
Traduction de l’italien : Jean-Paul Manganaro
Collaboratrice artistique : Claire Ingrid Cottanceau
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumière : Philippe Berthomé
Son : Michel Zurcher
Costumes : Raoul Fernandez
Coiffure : Jean-Jacques Puchu-Lapeyrade
Assistante à la mise en scène : Marine de Missolz
La Colline — Théâtre national
Grand Théâtre 15, rue Malte-Brun — 75020 Paris
Du 6 mars au 14 avril 2012
Durée du spectacle : durée 2h20
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
Réservations : par téléphone au 01 44 62 52 52 ou via le site.
Production Théâtre National de Bretagne — Rennes (producteur délégué), Compagnie Nordey, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre de la Place — Liège, La Colline — théâtre national, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines — Scène Nationale
Tournée : création au Théâtre national de Bretagne du 31 janvier au 11 février 2012 ; Théâtre Liberté — Toulon du 16 au 18 février ; reprise du spectacle en septembre-octobre 2012.