Vincent Van Gogh, La Chambre de Van Gogh à Arles, 1888.
Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment XXIX ou Le Sommeil
Quelle énigme nocturne capable de saisir ? Le rêve parfois. Le lit mystérieux où dorment les heures. S’endormir donc. S’enfoncer dans le sommeil, comme on dit.
Sorte de déesse qui se fige dans une image absolue.
Comment se dessaisir de l’envoûtement ? Quand arrive-t-il et par quel chemin ? Sa venue est une fête. Une épiphanie.
C’est un instant sans matière. Un lieu. Là au sein du soir.
Sa nature s’exprime dans l’oubli, dans le travail du désir qui cherche l’absence. Oui, c’est cela, l’absence. Je ne sais rien de cette léthargie. Elle vient, me défait, se dissout, disparaît. Phénomène musical.
Torpeur, délices, spleen, noire fumée envahissante. Ivresse.
On ne quitte pas l’ombre du sommeil, c’est lui qui me quitte. Il est le maître. Il est sujet. Il est solitaire. Et soudain je découvre le poème seul, hors des mots. Telle la nuit.
Dormition. Abîme. Matière noire. Contact avec la puissance.
Je ne le connais pas et nul ne le connaît. Il va. Il se retire. Il est dansant. Il déconstruit les angoisses.
Les images sont impuissantes à révéler son secret. Il absorbe. Il est étourdissement.
Vertige. Silence. Silence du vertige. Sa nature est close. Morphée image la clôture entre éveil et assoupissement. Du reste il ne réfléchit pas. Il est unilatéral. Dans le même sens qu’une ordalie quotidienne.
Monde inarticulé, royaume sans limites, capable de rendre l’être à son inertie, sa pesanteur. Il soigne. Il n’est pas dénudé, et néanmoins il confine au dépouillement. Il n’existe pas, d’un certain point de vue.
Le temps de cette espèce de narcose passe. L’angoisse diminue. Elle se retire pour laisser place au repos, à la somnolence, à l’emprise d’un demi-sommeil exclusif, régnant, gouvernant la totalité de l’être, y compris sa chair.
Donc, le repos se livre à la profondeur imaginaire. À l’effacement. Même si l’on existe dans le dormeur. Je suis en somme coupé par cet assoupissement. Sans durée. Exclu de la durée.
Figure anaphorique. Sans intellection ou presque. Travail du seuil, puis de la nuit.
L’énigme donc.
Didier Ayres