Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment XXVII ou Nature
Nature. Lieu du lien. De l’éclatement invraisemblable de l’énergie céleste, telle qu’on la trouve dans une forêt, l’été, en communication avec les eaux des ruisseaux. Là, l’immobilité est ambiguë.
Force ancestrale des vieux chênes et courant de l’eau sans mémoire.
La nature ne se comprend que dans la relation, la liaison stupéfiante entre l’âme du promeneur et celle des vibrations des végétaux, leurs conversations.
Est-ce l’éternité ? Est-ce pareil à ce temps de mon voyage en Crète dont les plages et quelques heures nocturnes — non pas tout à fait, mais le dernier point du jour — qui entraînaient en moi deux sentiments : l’angoisse et la liberté, impressions se signalant avec une force étrange parfois au contact d’un soleil rouge sur des frondaisons bruissantes ?
Elle se dit, mais ne se prononce pas. Elle est faite de cycles très précis et chroniques, échappant à la verbalisation. Mais sans perdre sa qualité spirituelle.
En gros, elle signifie ce que je ressens, elle m’aide car la nature est faite de faces, de facettes, de plis, d’arêtes, de tranches, de cubes.
Dans le feuillage je vois l’action céleste, le sentier, l’échelle vers un pantocrator, ce qui n’existe pas au sujet du jardin, sorte de polissure équine, d’attention donnée à la robe des massifs perdant le flux immense des alliances et des textures où disparaît la merveille de la vision, son état brut, sa physionomie sauvage.
Et même s’il faut prélever une partie infime du paysage de la forêt, sa puissance ne décroît pas car saisir quelque chose d’elle revient à comprendre le tout, la totalité expressive, muette, immobile et cependant racontant le temps.
Et cette absence de déchiffrement, cette impossible comptabilité des feuillages l’été, des couleurs l’hiver, revient à moi comme mystère. Serais-je un arbre dans mon lointain avatar ? Cette idée paraît drôle, mais je ne refuserais pas une incarnation dans un arbre millénaire, ayant traversé le temps historique des êtres humains et la continuité de la durée.
Didier Ayres