Mathieu Bock-Côté, dans cet essai clair, vrai et profond, nous met en garde. Les théories racialistes, nées dans ces Etats-Unis obsédés depuis l’origine par la question raciale et qui se propagent dans l’ensemble des pays occidentaux, constituent une révolution en bonne et due forme, avec tout ce que cela implique de radicalité, de haine, de violence et d’épuration.
On pourrait en rire, en considérant que les universités américaines sont en effet « des asiles à ciel ouvert », dans lesquels les étudiants surchauffés par la fougue de leur jeunesse se livrent à des expérimentations idéologiques en vase close. En vérité, on ne doit pas. Tout cela est très sérieux.
Révolutionnaire, le racialisme l’est par son projet idéologique de refonte globale des sociétés, des consciences et des individus. Un véritable projet anthropologique : déblanchir l’Occident et « extraire les sociétés occidentales de leur histoire pour les délivrer du mal blanc ».
En effet, l’Amérique du nord et l’Europe sont jugées « trop blanches ». L’Européen, des deux côtés de l’Atlantique, doit donc s’excuser d’être raciste par culture, presque par nature. La logique de haine de soi, inaugurée dans les années 1960, dégénère maintenant en abolition de soi, de son identité, de ses valeurs, de son héritage, de son être. Cette révolution contre les Blancs, à laquelle participent les Blancs, réintroduit la notion de race que l’on croyait à jamais abolie après l’horreur d’Auschwitz, et ce dans le but en apparence paradoxale d’abolir la race. C’est un messianisme qui veut créer une société parfaite. Un paradis terrestre et utopique.
Révolutionnaire, le racialisme l’est par son exigence épuratrice. Il met en œuvre une entreprise, digne des Khmers rouges, de rééducation et d’expiation, dans une logique de boucs émissaires, afin d’accoucher de son homme nouveau. Il le fait à travers des rituels « de ralliements ou de conversion », tous de caractère religieux.
Révolutionnaire, le racialisme aspire à la tabula rasa, à l’anéantissement du passé, à son effacement, à l’iconoclasme. Statues, livres, films, tout passe au rouleau compresseur, y compris les individus dissidents, chassés de leur emploi ou empêchés de s’exprimer.
La haine constitue un puissant moteur, surtout celle contre le réactionnaire parce qu’elle constitue la « forme achevée de l’amour de l’humanité » nous dit Mathieu Bock-Côté. D’ailleurs, n’est-ce pas par « principe d’humanité » que la Vendée a été purgée de « ces monstres » ? C’est en fait 1793 qui recommence.
On pourrait continuer la litanie des pulsions de cette révolution en marche : la surveillance généralisée, la mise au ban des modérés de son propre camp, la prise en charge éducatrice des enfants, la généralisation de la propagande, la réécriture de la langue, le refus de la moindre contestation, le drapeau de la Vertu brandi contre les nouveaux monstres, la soumission des élites bourgeoises.
Mais Mathieu Bock-Côté s’intéresse aussi à ce dont elle accouche : le refus de l’universalisme qui « ne serait pas autre chose que le racisme mais le racisme sous une autre forme » et surtout une nouvelle et inouïe ségrégation raciale, légitime celle-ci, car installée au profit des « racisés ».
Retenons un élément capital : cette révolution, comme toutes les autres, s’inscrit, en raison même de toutes ses caractéristiques, dans le mouvement de la modernité, auquel appartenaient eux aussi le fascisme italien et sa tentation démiurgique [1].
Depuis 1789, en vérité, la Gauche n’en finit pas d’inventer des projets de révolution anthropologique, d’éradication du passé, de construction d’un monde neuf. Après la grande faillite du communisme, elle nous laissa une petite vingtaine d’années de répit avant de trouver dans le projet diversitaire et antiraciste, si bien analysé par Bock-Côté, un nouvel idéal, une énième utopie, un autre combat contre ces forces obscures toujours à l’œuvre et dont elle ne peut tolérer les résistances, pour ne pas dire l’existence. Avec la Gauche, l’histoire ne recommence pas, elle se poursuit.
« La révolution est glacée » disait Antoine Saint-Just. Celle des racialistes le sera aussi. A moins que, comme le pense Mathieu Bock-Côté, les peuples européens ne réagissent, en puisant dans la défense de leur nation et de leur civilisation, la sève salvatrice.
Mais l’Eglise catholique, universelle par nature, n’aurait-il pas elle aussi un rôle à jouer afin d’empêcher cette dynamique de haine raciale qui jette déjà les hommes les uns contre les autres ? Encore faudrait-il qu’elle soit elle-même prémunie contre cette folie totalitaire, elle qui céda, il n’y a pas si longtemps, aux sirènes du marxisme triomphant…
frederic le moal
Mathieu Bock-Côté, La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 238 p. — 20,00 €.
[1] Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Paris, Perrin, 2018.