Didier Ayres, Cahier , “Fragment XXVI ou La beauté”

Stan­ley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l’espace (1968).

Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment XXVI ou La beauté 

La beauté, cette ques­tion. Elle est autant une épi­thète qu’un prin­cipe éthique. Elle est tran­si­toire, et elle demeure pour tou­jours.
Elle gou­verne le bien et le vrai. Mais elle ne se mani­feste que par le men­songe et par­fois elle décrit le mal.

Elle agit par conta­mi­na­tion : ce feuillage est beau et la mer des feuillages devient har­mo­nieuse. Elle atteint ce qu’elle est ces­sée pro­té­ger, mais jamais elle n’atteint ce que l’on lui demande.
Elle déçoit. Elle est volatile.

Elle règne sur l’invisible. Elle est tachée de mort, de fleurs orga­niques propres à pour­rir. Elle ne dure pas. Elle est ici et déjà elle dis­pa­raît, lais­sant une humeur, une aura, une impres­sion de proxi­mité.
C’est le contre-ut du chanteur.

En pre­nant des sen­tiers touf­fus, elle va. Nul ne la connaît. Elle se déter­mine par ce qui l’empêche de se répé­ter, elle est unique, elle est le one shot du sublime.
Elle n’appartient jamais à personne.

Nul ne se sait qui elle est, mais tous la recon­naissent. Elle ne dit rien. Elle ne bavarde pas. C’est un hori­zon ima­giné et qui ne se réa­lise pas.
Elle est à la fois le corps et l’enveloppe ver­bale du corps, beauté qui s’immisce au milieu d’elle-même sans contrôle, sans volonté. Elle appa­raît.

Bref, je ne la connais pas. Je ne peux jamais être sûr. Elle me dépasse. Cepen­dant, cher­cher à l’’approcher c’est déjà la faire se lever dans les organes du poème.
Uni­ver­sel­le­ment com­prise sans concept, dit le philosophe.

Je ne l’atteins que par sur­prise, par éclipse, par bond, par frag­ment. Elle reste entière dans son habit. Quand, néan­moins, elle figure la nudité de l’idée qui la pré­cède, lui ouvre le champ du pos­sible.
Elle pour­rait se confondre avec une ivresse.

Elle témoigne, mais de quoi ? Per­sonne pour cette ques­tion. D’où vient-elle ? De quoi vit-elle ? Est-elle simple fes­tin très bref ?
Une fête conti­nuelle qui ne se jus­ti­fie que par les quatre secondes où elle se retrouve visible pour s’évanouir à cause de choses sans rela­tion avec elle, mais qui la font s’éteindre.

Sinon, on pour­rait conce­voir qu’elle est arc-boutée à la mort. Jus­te­ment parce qu’elle n’est pas attei­gnable. Elle se sous­trait à la vie afin de tou­cher à l’éternité.
Mais une éter­nité de quelques nano­se­condes, donc une éter­nité syno­nyme de rien de qualifiable.

Elle est seule avec elle-même.

Didier Ayres

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