Didier Ayres, Cahier, “Fragment XXIII ou Le langage”

LCahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment XXIII ou Le lan­gage 

De fait, le lan­gage est un dérou­le­ment. Une action ver­bale qui tend vers une fin. Le lan­gage en soi-même. Dia­logue inté­rieur.
Je ne cesse de m’étonner de l’intelligence pro­fuse et dis­crète, des facul­tés du langage.

Néan­moins, il exige un déta­che­ment. Une dis­tance, de façon à lui faire dire. Une par­lure cau­sale. Qui offre un abri aux demi-teintes de la langue, à ce qui tremble, feu fol­let sur la tour­bière de la signi­fi­ca­tion.
Cette der­nière dépas­sant et aug­men­tant le lexique verbal.

De plus, la réflexion se dédouble dans la prise en charge des signes. Cette intel­lec­tion va en elle-même.
Un peu repliée sur les codes des idiomes.

Lire par­ti­cipe aussi de cette joie des convul­sions, des spasmes, de cette agi­ta­tion, de cette oscil­la­tion conti­nuelle qui agran­dit l’espace, le topos des pic­to­grammes qui du cahier manus­crit à la page d’une publi­ca­tion se révèlent, se détaillent dans le champ fer­tile de la com­pré­hen­sion.
Regar­der dépend encore de l’activité méca­nique de l’expression orale, la pein­ture devant trem­bler, se figer dans son trem­ble­ment grâce au lan­gage, lequel appuie et rehausse le peint.

Par ailleurs, cette dif­fu­sion des verbes com­plète la per­sonne, lui donne corps para­doxa­le­ment. C’est se pen­cher sur un abîme d’absolu. Tirer briè­ve­ment une flèche au milieu d’une res­source infi­nie.
Une flèche com­prise comme une ten­ta­tive de débor­de­ment en soi du même.

Copier n’est pas pos­sible. La simple conver­sa­tion sociale exige des forces et de l’invention. Rien de tran­quille dans cette élo­cu­tion. Fût-elle inté­rieure.
C’est l’ensemble de l’espace men­tal qui est concerné.

Toute par­lure aug­mente celui qui parle, le déi­fie en un sens. Le plonge dans une sorte de pro­fon­deur. L’épaissit. Le désigne.
Lui accole un lieu plus grand que la phrase initiale.

Je pense comme j’écris. En sup­po­sant qu’il existe un monde sans mani­fes­ta­tions ver­bales, la créa­ture humaine ne sait se défaire de cette somme fabu­leuse qui dépasse et la réa­lité et la fonc­tion du lan­gage.
Donc, écrire revient à redire. Reve­nir sur l’énigme. 

Didier Ayres

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