Susanna Crossman, L’île sombre

Un petit roman, un peu trop ambi­tieux pour sa taille

Je pense que l’on qua­li­fie un texte de « roman » lorsqu’il dépasse les 100 pages. Tou­te­fois, avec seule­ment 140 pages au comp­teur, c’est dia­ble­ment rapide comme tempo pour déve­lop­per une intrigue comp­tant autant de personnages.

L’île sombre en somme ne sort pas vrai­ment des sen­tiers bat­tus mille et mille fois par cette chère Aga­tha Chris­tie (déci­dé­ment, c’est la mode en ce moment !). Six pro­ta­go­nistes : Josh l’agent immo­bi­lier à suc­cès qui vient d’obtenir l’exclusivité pour la vente d’une petite île reliée au conti­nent uni­que­ment à marée basse grâce à une étroite bande de sable. Et ses cinq invi­tés : Kathe­rine, future car­dio­logue, femme ambi­tieuse et conquête récente de Josh (il l’a ren­con­trée quelques soirs aupa­ra­vant) ; Cla­risse, une amie d’enfance, et son fiancé Char­lie ; Kevin, employé de Josh, celui-là même qui a conseillé à son supé­rieur de s’intéresser à cette île ; et sa femme Sarah.

L’his­toire dure le temps d’une jour­née : le week-end avant la mise en vente du ter­rain, alors que Josh convie ces cinq indi­vi­dus sur la fameuse terre para­di­siaque afin de fêter cette vic­toire immo­bi­lière. Mal­heu­reu­se­ment, les choses ne se passent pas comme prévu : la ten­sion monte parmi les convives qui ne semblent pas bien se sup­por­ter les uns les autres. Cerise sur le gâteau, le passé tra­gique de ce petit lopin sablon­neux refait inopi­né­ment sur­face pour per­tur­ber encore davan­tage la troupe bel­li­queuse : l’île serait dite mau­dite, se pourrait-il que ce soit vrai ? On dit pour­tant que les fan­tômes n’existent pas…

Après ce synop­sis légè­re­ment dra­ma­tique, reve­nons à nos mou­tons. Pre­miè­re­ment, il faut mettre d’emblée les choses au point : Aga­tha Chris­tie, on l’aime bien, mais il ne faut pas en abu­ser. La reine du crime a su se démar­quer de ses contem­po­rains à l’époque par son ori­gi­na­lité. Mais c’était il y a près d’un siècle désor­mais, il est temps de pas­ser à autre chose.
Le pas­tiche n’a de sens que quand il apporte quelque chose de neuf. Les Bri­tan­niques semblent nos­tal­giques de leurs stars d’antan, ils ne veulent pas lâcher leurs célé­bri­tés. Laissez-moi donc créer dans votre esprit l’image sui­vante : un gâteau à la crème nous récon­forte, nous pro­cure un plai­sir cou­pable. Cepen­dant, ce der­nier n’est que pas­sa­ger et la gour­man­dise dont on se res­sert ne tarde pas à écœurer.

Ainsi, je n’en dirai pas plus sur l’aspect « huis clos dans lequel six per­son­nages sont livrés à eux-mêmes, cou­pés du monde sur une île seule­ment reliée à la terre ferme à marée basse »… Quant à la trame en elle-même, pour faire bref, elle paraît bien arti­fi­cielle. L’auteure, après les avoir tirés au sort pour son roman, a placé an vrac sur son îlot tous les élé­ments du thril­ler « clas­sique ».
Cepen­dant, on n’a pas vrai­ment l’impression qu’elle ait eu une idée nette de la manière de les uti­li­ser : chaque ficelle nar­ra­tive est avor­tée. Quelques exemples : une île dite mau­dite qui n’a pour­tant pas réel­le­ment d’impact sur la réso­lu­tion de l’intrigue ; un passé tra­gique des lieux relaté soi­gneu­se­ment dans un car­net pré­cieu­se­ment conservé (Tiens c’est pra­tique ça ! – Soit dit en pas­sant, aucune expli­ca­tion n’est four­nie sur son ori­gine et force est de consta­ter que sa rédac­tion est très obs­cure, tout comme sa signi­fi­ca­tion. Je veux bien que cela donne un aspect sombre et mys­té­rieux mais il ne faut pas en abu­ser… Petit exemple : « Alphonse peur de bête de l’île qui mal­traite gar­çons. Aussi facile que cueillir fleur, broyer pétales dans sa main. » (p 124).) qui est décou­vert, lu puis oublié.
Nous avons bien évi­dem­ment, le sombre secret de l’un des per­son­nages qui décide cepen­dant de n’en faire part à per­sonne (c’est bien utile) ; les rideaux qui bougent, les par­quets qui craquent et qui ne sont pas plus exploi­tés que ça. Et pour finir : les rêves étranges de mau­vais augure, qui fina­le­ment ne pré­sagent rien du tout : affaire clas­sée sans suite…

Pour les per­son­nages, c’est éga­le­ment très étrange ; ils ne se connaissent pas, ne s’apprécient pas et ne veulent pas être là (même Josh) : quel était donc le but de ce week-end impro­visé ? Par ailleurs, ils sont tous plus détes­tables et tim­brés les uns que les autres. À croire que l’humanité ne consiste qu’en un seul modèle. Enfin, admet­tons que l’effet ait été voulu : une réper­cus­sion de la malé­dic­tion de l’île.
Du côté de la langue : ça se lit vite, bien et ce n’est pas du tout déplai­sant. Cepen­dant, les phrases sont trop courtes à mon goût : trois ou quatre mots pour chaque, cela donne un côté un peu trop haché.

En somme L’île sombre se veut ambi­tieuse mais, la faute peut-être à son for­mat res­treint, toutes les pistes et amorces qui s’y enche­vêtrent pro­voquent sur­tout la perplexité.

agathe de lastyns

Susanna Cross­man, L’île sombre, tra­duit de l’anglais par Carine Chi­che­reau, la Croi­sée, mars 2021, 144 p. – 16,50 €.

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