Philippa Gregory, La Reine clandestine

La Guerre des Roses menée par Mélusine

Après Deux sœurs pour un roi, roman dans lequel Phi­lippa Gre­gory s’intéressait – et son lec­to­rat avec – au sort de la plus connue des sœurs Boleyn et à ses amours avec Henry VIII, l’auteure remonte dans le temps pour nous plon­ger dans la fin du règne des Plan­ta­ge­nêt. La Reine clan­des­tine, pre­mier volume d’une tri­lo­gie, suit l’avènement et le règne tumul­tueux d’Élisabeth Wood­ville, belle veuve qui réus­sit à atti­rer le regard du jeune roi Édouard IV d’York sur le bord d’un che­min de cam­pagne. Après des noces secrètes, elle accè­dera sur le trône, aux côtés de l’avant-dernier monarque de sa lignée, créant la polé­mique en pla­çant aux plus hautes posi­tions du royaume tous les membres de sa famille, les River. C’est par sa voix que l’auteure nous raconte la fra­tri­cide Guerre des Deux Roses, entre luttes de pou­voir, com­plots, tra­hi­sons, secrets d’alcôve et san­glantes batailles. Tous les moyens sont bons pour accé­der, se main­te­nir et, après la déchéance, reve­nir au som­met, y com­pris la sor­cel­le­rie. Car Éli­sa­beth détient de Mélu­sine cer­tains dons aussi redou­tés que sévè­re­ment punis.

Bizar­re­ment, Phi­lippa Gre­gory ne par­vient pas à nous faire aimer sa reine. Car enfin cette femme, qui perd enfants, frères, père, mère et mari adoré, ne nous convainc pas dans sa détresse, en tout cas bien moins que dans son ambi­tion inébran­lable et son désir inef­fable de ven­geance. Le lec­teur lui pré­fè­rera son frère Anthony, l’humaniste, sa mère Jac­quetta ou sa fille aînée, Éli­sa­beth, héri­tières de Mélu­sine (et pour la seconde future mère de la lignée des Tudor lorsqu’elle épou­sera Henry VII). Si les scènes de batailles sont bien ren­dues et nous entraînent au cœur du bain de sang, si l’Histoire est res­pec­tée et la place déli­cate des femmes bien décrite, l’on pourra faire à l’auteure un cer­tain nombre de reproches sur ses parti-pris. En pre­mier des­quels le choix du récit au pré­sent, qui semble très en vogue aujourd’hui, mêlé par­fois au passé sans que l’on com­prenne vrai­ment pour­quoi. À ce sujet, l’effort louable de la tra­duc­trice pour rendre la langue médié­vale me paraît mal­heu­reu­se­ment gâché par le choix du passé simple pour les dia­logues, par moments à la limite du ridi­cule.
Autre pro­blème concer­nant les choix de tra­duc­tion, le titre, La Reine clan­des­tine, qui perd beau­coup de sens par rap­port au titre ori­gi­nal, The White Queen, en réfé­rence à la rose blanche de la famille d’York (par oppo­si­tion à la rose rouge des Lan­cas­ter, qui fera l’objet du deuxième tome de la tri­lo­gie, The Red Queen, rela­tant les mêmes évé­ne­ments vus cette fois à tra­vers les yeux de Mar­ga­reth Beau­fort, mère d’Henry Tudor). Enfin, alors qu’elle se confronte à une his­toire aussi contro­ver­sée que riche, l’entêtement de Mrs Gre­gory à lier les évé­ne­ments majeurs de la vie d’Élisabeth à des actes de magie me paraît bien réduc­teur : ce qui a rendu Édouard amou­reux d’elle ? Un anneau atta­ché à une cor­de­lette ; ce qui a fait cha­vi­rer un bateau emme­nant à la guerre de nom­breux oppo­sants au régime et donc per­mis la vic­toire d’Édouard ? Une vio­lente tem­pête pro­vo­quée par le souffle des sor­cières ; ce qui rend Richard III inca­pable d’utiliser le bras qui porte l’épée ? Une malé­dic­tion et une cor­de­lette. La liste est encore longue, la solu­tion un peu facile, et si l’on en croit Mrs Gre­gory, il se pour­rait fort que l’incapacité du futur roi Henry VIII à pro­duire un héri­tier mâle et viable ne soit aussi due à la malé­dic­tion d’Élisabeth, qui mau­dit sans le connaître l’assassin de son fils Édouard.
Si le livre se lit néan­moins faci­le­ment, il ne res­tera sans doute pas dans les annales du genre.

agathe de lastyns

Phi­lippa Gre­gory, La Reine clan­des­tine, tra­duit de l’anglais (Royaume-Uni) par Céline Véron Voe­te­link, l’Archipel, jan­vier 2013, 343 p. — 22,00 €

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