Didier Ayres, Cahier, “Fragment XIX ou Le désespoir”

Louis Charles Auguste Cou­der, Le déses­poir de Cuthul­lin (vers 1810)

Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment XIX ou Le déses­poir 

Je ne dis pas que tout est déses­poir. Le déses­poir est un élé­ment parmi la variété sen­si­tive de l’être. Néan­moins, il tra­verse l’existence.
Il sub­siste aux côtés de l’espoir. Comme l’ombre jus­ti­fie et des­sine les lieux de la lumière.

Humeur sombre côtoyant la force blanche, celle que l’on trouve dans l’expression de l’ange. Cette humeur n’agit pas lorsqu’elle est en rela­tion étroite avec l’espérance. Car elle se flui­di­fie et se tarit.
Elle est donc mobile, lym­pha­tique. Elle se pro­duit au sein de la per­sonne sans clarté, toute enve­lop­pée d’eaux noires et sans repères. Cette crainte est trouble, elle est indé­cise par nature.

Cet engen­dre­ment à double sens, conduit la conscience vers l’inconscient. La joie étant la part éclai­rée de l’angoisse.
Là où il n’y a rien, se trouve l’aspiration à se détruire.

Cette expec­ta­tive, cette attente opèrent en lut­tant contre l’indécision des idées, des sen­ti­ments, les­quels durant la crise d’angoisse viennent enva­hir le soi.
Est-ce vrai­ment une souf­france ? En tout cas un état de la sen­si­bi­lité, venu droit de mon adolescence.

Nuit, désir, mort pré­sente comme un accom­pa­gne­ment, le nocher, le joueur, le conduc­teur vers l’île des âmes mortes : là se logent les sen­ti­ments de haine de soi, la volonté de sui­cide, de la fin des temps, l’angoisse sans objet, où aucune sub­jec­ti­vité n’est sus­cep­tible de vaincre l’inquiétude.
Dans ce cli­mat d’appréhension de soi, dans la confu­sion des sen­sa­tions, confu­sion qui n’apporte rien, qui n’est pas une terre où fruc­ti­fier, s’abrite la com­bus­tion inté­rieure de la soli­tude, du silence subit, de l’aliénation tem­po­raire de sa liberté.

Mais déses­pé­rer a de la valeur. Cela pro­voque des luttes, contre la durée — cette déses­pé­rance arrê­tant le temps -,  qui res­semblent sim­ple­ment à une forme d’épreuve, celle de l’initiation.
Le doute pro­duit du sens.

Deux forces se com­battent et c’est le sol­dat de lumière qui vainc.
Dès lors que la crainte sai­sit la per­sonne, il n’y a que l’épée de glace de la pen­sée pour venir au terme de l’oppression, de l’étouffement où gît le soi-même.

Didier Ayres

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